En guise d'introduction

 

 

Texte 1 Le prologue de PAN

Dyscolos

Prologue : situation initiale (décor, intrigue)

(texte établi par M. Marmeche, sur evandre.info)
 

Ménandre - Le Grincheux (vers 1 à 426) Traduction nouvelle annotée de Marie-Paule Loicq-Berger (juin 2005)

 

ΠΑΝ

Τῆς Ἀττικῆς νομίζετ ΄ εἶναι τὸν τόπον

Φυλήν , τὸ νυμφαῖον δ ΄ ὅθεν προέρχομαι

Φυλασίων καὶ τῶν δυναμένων τὰς πέτρας

ἐνθάδε γεωργεῖν , ἱερὸν ἐπιφανὲς πάνυ .

Τὸν ἀγρὸν δὲ τὸν ἐπὶ δεξί ΄ οἰκεῖ τουτονὶ 5

Κνήμων , ἀπάνθρωπός τις ἄνθρωπος σφόδρα

καὶ δύσκολος πρὸς ἅπαντας οὐ χαίρων τ ΄ ὄχλωι

- ὄχλῳ λέγω ; - . Ζῶν οὗτος ἐπιεικῶς χρόνον

πολὺν λελάληκεν ἡδέως ἐν τῷ βίωι

οὐδενί , προσηγόρευκε πρότερος δ ΄ οὐδένα 10

πλὴν ἐξ ἀνάγκης , γειτνιῶν παριών τ ΄, ἐμὲ

τὸν Πᾶνα · καὶ τοῦτ ΄ εὐθὺς αὐτῷ μεταμέλει ,

εὖ οἶδ ΄. Ὅμως οὖν τῶι τρόπωι τοιοῦτος ὢν

χήραν γυναῖκ ΄ ἔγημε , τετελευτηκότος

αὐτῆι νεωστὶ τοῦ λαϐόντος τὸ πρότερον 15

ὑοῦ τε καταλελειμμένου μικροῦ τότε .

Ταύτῃ ζυγομαχῶν οὐ μόνον τὰς ἡμέρας ,

ἐπιλαμϐάνων δὲ καὶ τὸ πολὺ νυκτὸς μέρος ,

ἔζη κακῶς · θυγάτριον αὐτῷ γίνεται ·

ἔτι μᾶλλον . Ὡς δ ΄ ἦν τὸ κακὸν οἷον οὐθὲν ἄν 20

ἕτερον γένοιθ ΄, ὁ βίος τ ΄ ἐπίπονος καὶ πικρός ,

ἀπῆλθε πρὸς τὸν ὑὸν ἡ γυνὴ πάλιν

τὸν πρότερον αὐτῆι γενόμενον . Χωρίδιον

τούτῳ δ ΄ ὑπάρχον ἦν τι μικρὸν ἐνθαδὶ

ἐν γειτόνων , οὗ διατρέφει νυνὶ κακῶς 25

τὴν μητέρ ΄, αὑτόν , πιστὸν οἰκέτην θ΄ ἕνα

πατρῶιον . Ἤδη δ ΄ ἐστὶ μειρακύλλιον

ὁ παῖς , ὑπὲρ τὴν ἡλικίαν τὸν νοῦν ἔχων ·

προάγει γὰρ ἡ τῶν πραγμάτων ἐμπειρία .

Ὁ γέρων δ ΄ ἔχων τὴν θυγατέρ ΄ αὐτὸς ζῆι μόνος 30

καὶ γραῦν θεράπαιναν, ξυλοφορῶν σκάπτων τ΄ , ἀεὶ

πονῶν , ἀπὸ τούτων ἀρξάμενος τῶν γειτόνων

καὶ τῆς γυναικὸς μέχρι Χολαργέων κάτω

μισῶν ἐφεξῆς πάντας . Ἡ δὲ παρθένος

γέγονεν ὁμοία τῆι τροφῆι τις , οὐδὲ ἓν 35

εἰδυῖα φλαῦρον . Τὰς δὲ συντρόφους ἐμοὶ

Νύμφας κολακεύουσ΄ ἐπιμελῶς τιμῶσά τε

πέπεικεν αὐτῆς ἐπιμέλειαν σχεῖν τινα

ἡμᾶς · νεανίσκον τε καὶ μάλ ΄ εὐπόρου

πατρὸς γεωργοῦντος ταλάντων κτήματα 40

ἐνταῦθα πολλῶν , ἀστικὸν τῇ διατριϐῆι,

ἥκοντ ΄ ἐπὶ θήραν μετὰ κυνηγέτου τινὸς

< φίλου > κατὰ τύχην παραϐαλόντ ΄ εἰς τὸν τόπον

< αὐτῆς > ἔχειν πως ἐνθεαστικῶς ποῶ .

Ταῦτ ΄ ἐστὶ τὰ κεφάλαια. Τὰ καθ ΄ ἕκαστα δὲ 45

ὄψεσθ ΄ ἐὰν βούλησθε . Βουλήθητε δέ .

Καὶ γὰρ προσιόνθ ΄ ὁρᾶν δοκῶ μοι τουτονὶ

τὸν ἐρῶντα τόν τε < συγκυνηγέτην >, ἅμα

αὑτοῖς ὑπὲρ τούτων τι < συγκοινουμένους >.

 

Prologue (1-49)

 

(Pan sort du nymphée pour s’adresser au public)

Pan -- Considérez que le lieu de l’action est Phylè, en Attique. Le nymphée d’où je sors est un sanctuaire très fameux appartenant aux Phylasiens, des gars capables de labourer jusqu’aux pierres de ce coin-ci... Ce domaine ici à droite, c’est Cnémon qui l’habite, un homme fort ennemi du genre humain, grincheux avec tout le monde et n’aimant pas la foule - la foule, dis-je ? Cet homme-là (qui vit depuis belle lurette !) n’a de toute sa vie causé gentiment avec personne ni salué en premier - sauf, forcément, moi, Pan, son voisin, quand il passe... et, je le sais, il s’en repent tout aussitôt.

 

Avec un pareil caractère, il a néanmoins épousé une veuve dont le premier mari était mort peu avant, en lui laissant un fils alors tout petit. À force de harceler cette femme non seulement à longueur de journée mais en s’y remettant encore la plus grande partie de la nuit, notre homme vivait fort mal. Il lui arrive une petite fille : c’est encore pire. Comme leur misère était telle qu’il n’en saurait exister de pire et leur vie, pénible et amère, la femme est retournée chez le fils qu’elle avait eu auparavant. Ce dernier possédait ici, dans le voisinage, un petit lopin avec quoi il fait maintenant vivre sa mère - mal - et un unique serviteur, un fidèle qui lui vient de son père. Le garçon est désormais un petit jeune homme, d’une intelligence en avance sur son âge (c’est que l’expérience des choses fait avancer !).

 

Le vieux, quant à lui, vit seul avec sa fille et une vieille servante, coltinant du bois, bêchant, peinant sans cesse, haïssant d’une traite tout le monde, à commencer par ceux-ci, ses voisins, et par sa femme, jusqu’aux gens de Cholarges, là en bas. La jeune fille, elle, est à l’image d’une pareille éducation : ignorante du moindre mal.

À force d’empressement attentif et de vénération pour mes compagnes, les Nymphes, cette fille nous a décidés à prendre soin d’elle. Un jeune homme, fils d’un père fort bien nanti qui cultive ici des terrains valant force talents tout en vivant en ville, est venu chasser avec un autre gars. Il se pointe par hasard dans le coin ; moi, je le fais un peu s’emballer...

 

Voilà l’essentiel. Et quant aux points particuliers, <ça viendra> si vous voulez. Veuillez donc ! Car je crois voir approcher cet amoureux et son ami chasseur discourant de tout ceci.

More text goes here.

Texte 2 Dyscolos

Texte 2 Le Dyscolos entre en scène

source: evandre.info

 

Scène 3 (153-188)

ΚΝΗΜΩΝ

Εἶτ ΄ οὐ μακάριος ἦν ὁ Περσεὺς κατὰ δύο

τρόπους ἐκεῖνος ; ὅτι πετηνὸς ἐγένετο

κοὐδενὶ συνήντα τῶν βαδιζόντων χαμαί , 155

εἶθ ΄ ὅτι τοιοῦτο κτῆμ ΄ ἐκέκτηθ ΄ ὧι λίθους

ἅπαντας ἐπόει τοὺς ἐνοχλοῦντας ; Ὅπερ ἐμοὶ

νυνὶ γένοιτ ΄ · οὐδὲν γὰρ ἀφθονώτερον

λιθίνων γένοιτ ΄ ἂν ἀνδριάντων πανταχοῦ .

Νῦν δ ΄ οὐ βιωτόν ἐστι , μὰ τὸν Ἀσκληπιόν · 160

λαλοῦσ΄ ἐπεμϐαίνοντες εἰς τὸ χωρίον

ἤδη . Παρ ΄ αὐτὴν τὴν ὁδὸν γάρ , νὴ Δία ,

εἴωθα διατρίϐειν · ὃς οὐδ ΄ ἐργάζομαι

τοῦτο τὸ μέρος τοῦ χωρίου , πέφευγα δὲ

διὰ τοὺς παριόντας . Ἀλλ ΄ ἐπὶ τοὺς λόφους ἄνω 165

ἤδη διώκουσ΄ . Ὢ πολυπληθείας ὄχλου .

Οἴμοι , πάλιν τις οὑτοσὶ πρὸς ταῖς θύραις

ἕστηκεν ἡμῶν .

ΣΩΣΤΡΑΤΟΣ

Ἆρα τυπτήσει γέ με ;

ΚΝΗΜΩΝ

Ἐρημίας οὐκ ἔστιν οὐδαμοῦ τυχεῖν ,

οὐδ ΄ ἂν ἀπάγξασθαί τις ἐπιθυμῶν τύχηι . 170

ΣΩΣΤΡΑΤΟΣ

- Ἐμοὶ χαλεπαίνει . - Περιμένω, πάτερ, τινὰ

ἐνταῦθα · συνεθέμην γάρ .

ΚΝΗΜΩΝ

Οὐκ ἐγώ ᾿λεγον ;

Τουτὶ στοὰν νενομίκατ ΄ ἢ τὸ τῶν Λεώ ;

Πρὸς τὰς ἐμὰς θύρας ἐὰν ἰδεῖν τινα

βούλησθε , συντάττεσθε πάντα παντελῶς 175

καὶ θῶκον οἰκοδομήσατ ΄ , ἂν ἔχητε νοῦν ,

μᾶλλον δὲ καὶ συνέδριον . - Ὢ τάλας ἐγώ ·

ἐπηρεασμὸς τὸ κακὸν εἶναί μοι δοκεῖ .

 

 

 

 

 

(Cnémon entre en scène et rencontre Sostrate)

Cnémon -- Après ça, n’est-ce pas qu’il était heureux de deux façons, l’illustre Persée ? C’est que, pourvu d’ailes, il ne se rencontrait pas avec les gens qui marchent sur terre, et ensuite parce qu’il détenait un objet grâce auquel il changeait en pierres tous les importuns ! Ah ! si la chose était présentement à moi ! Pour sûr, rien ne serait plus répandu, partout, que les statues de pierre ! Par Asclépios, ce n’est plus vivable aujourd’hui ! On vient désormais causer sur mon terrain... Est-ce précisément le long de la route, nom de Zeus, que j’ai l’habitude de passer mon temps, moi qui ne cultive plus cette partie de mon lopin mais qui m’en suis retiré à cause des passants ? Mais ils me poursuivent désormais là-haut, sur les collines... Une foule énorme ! (Il voit Sostrate et s’approche, l’air agressif) Malheur, qui est encore ce type debout à notre porte ?

Sostrate (sur ses gardes) -- Va-t-il me frapper ?

Cnémon -- Vrai, la solitude, impossible de la trouver nulle part, pas même quand on souhaiterait d’aventure s’aller pendre !

Sostrate -- (à mi-voix) C’est contre moi qu’il râle ! (à Cnémon) J’attends ici quelqu’un, père : j’ai rendez-vous.

Cnémon -- Est-ce pas ce que je disais ? Ceci, vous l’avez pris pour un portique, ou pour l’endroit des assemblées populaires ? Si c’est à ma porte que vous voulez voir quelqu’un, disposez entièrement de tout, aménagez un siège si vous en avez l’idée, et même plutôt un local de réunion... Malheureux que je suis ! Mon malheur m’a bien l’air d’être cette nuisance... (Furieux, il rentre chez lui)

 

Mot à mot

ΚΝΗΜΩΝ

Εἶτ ΄ οὐ μακάριος ἦν (Et alors est-ce qu’il n’était pas heureux) ὁ Περσεὺς ἐκεῖνος (ce fameux Persée)

κατὰ δύο τρόπους (de deux façons); ὅτι πετηνὸς ἐγένετο (parce qu’il était doté d’ailes)

κοὐδενὶ συνήντα (et qu’il ne se rencontrait avec personne) τῶν βαδιζόντων χαμαί (de ceux qui marchent sur terre) , 155

εἶθ ΄ ὅτι τοιοῦτο κτῆμ ΄ ἐκέκτηθ ΄ (ensuite parce qu’il possédait un objet tel) ὧι λίθους ἅπαντας ἐπόει τοὺς ἐνοχλοῦντας (par lequel il transformait en pierres tous ceux qui le génaient);

Ὅπερ ἐμοὶ νυνὶ γένοιτ ΄  (Ah si je pouvais aujourd’hui l’avoir)· οὐδὲν γὰρ ἀφθονώτερον γένοιτ ΄  (rien en effet ne serait plus répandu) λιθίνων ἂν ἀνδριάντων πανταχοῦ (que des statues de pierre partout).

Νῦν δ ΄ (Mais en  vérité) οὐ βιωτόν ἐστι (ce n’est plus vivable) , μὰ τὸν Ἀσκληπιόν (par Asklépios)· 160

λαλοῦσ΄ (Ils palabrent) ἐπεμϐαίνοντες εἰς τὸ χωρίον ἤδη (venant sur mon terrain désormais) . 

Παρ ΄ αὐτὴν τὴν ὁδὸν γάρ , (car c’est au bord de la route) νὴ Δία ,(par Zeus)εἴωθα διατρίϐειν (que j’ai coutume de passer mon temps) ·

ὃς οὐδ ΄ ἐργάζομαι (moi qui ne travaille même plus) τοῦτο τὸ μέρος τοῦ χωρίου (cette partie de mon terrain), πέφευγα δὲ (mais je l’ai fuie)

διὰ τοὺς παριόντας (à cause des passant). Ἀλλ ΄ ἐπὶ τοὺς λόφους ἄνω  (Allons bon, jusque sur les collines là-haut)165

ἤδη διώκουσ΄ (ils me poursuivent désormais). Ὢ πολυπληθείας ὄχλου.(Oh la grouillante foule !)

Οἴμοι ( Malheur), πάλιν τις οὑτοσὶ  (encore un autre là) πρὸς ταῖς θύραις ἕστηκεν ἡμῶν .(planté contre notre porte)

ΣΩΣΤΡΑΤΟΣ

Ἆρα τυπτήσει γέ με ; (est-ce qu’il va me battre ?)

ΚΝΗΜΩΝ

Ἐρημίας οὐκ ἔστιν οὐδαμοῦ τυχεῖν ,( La solitude impossible de la trouver nulle part)

οὐδ ΄ ἂν ἀπάγξασθαί τις ἐπιθυμῶν (pas même quand on souhaiterait se pendre) τύχηι (d’aventure) . 170

ΣΩΣΤΡΑΤΟΣ

- Ἐμοὶ χαλεπαίνει .(c’est à moi qu’il en veut - Περιμένω (j’attends), πάτερ (père), τινὰ ἐνταῦθα (quelqu’un ici) · συνεθέμην γάρ .(j’ai en effet rendez-vous)

ΚΝΗΜΩΝ

Οὐκ ἐγώ ᾿λεγον ; (n’est-ce pas ce que je disais)

Τουτὶ στοὰν νενομίκατ ΄ (ce lieu vous le prenez pour un portique) τὸ τῶν Λεώ (ou pour le temple des filles de Leos);

Πρὸς τὰς ἐμὰς θύρας (près de ma porte) ἐὰν ἰδεῖν τινα βούλησθε (si vous voulez voir quelqu’un) ,

συντάττεσθε πάντα παντελῶς (prenez toutes vos dispositions pour tout) 175

καὶ θῶκον οἰκοδομήσατ ΄ ( et construisez un banc) , ἂν ἔχητε νοῦν  (si vous avez du bon sens),

μᾶλλον δὲ καὶ συνέδριον (et même plutôt une salle de réunion). - τάλας ἐγώ · (Malheureux que je suis)

ἐπηρεασμὸς τὸ κακὸν εἶναί μοι δοκεῖ .(cette nuisance c’est mon malheur je pense)

 

 

Texte 3 Préparatifs du sacrifice

 Texte 3 Le sacrifice : une scène comique ?

 

 

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

 

Τουτὶ τὸ πρόϐατόν ἐστιν οὐ τὸ τυχὸν κακόν .

Ἄπαγ ´ εἰς τὸ βάραθρον . Ἂν μὲν αἰρόμενος φέρω

μετέωρον , ἔχεται τῷ στόματι θαλλοῦ κράδης , 395

κατεσθίει τὰ θρῖ ´ , ἀποσπᾶι δ ´ εἰς βίαν ·

ἐὰν δ ´ ἀφῆι χαμαί τις , οὐ προέρχεται .

Τοὐναντίον δὴ γέγονε · κατακέκομμ ´ ἐγὼ

ὁ μάγειρος ὑπὸ τούτου νεωλκῶν τὴν ὁδόν .

Ἀλλ ´ ἔστιν εὐτυχῶς τὸ νυμφαῖον τοδὶ 400

οὗ θύσομεν . Τὸν Πᾶνα χαίρειν . Παῖ Γέτα ,

τοσοῦτ ´ ἀπολείπῃ ;

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

Τεττάρων γὰρ φορτίον

ὄνων συνέδησαν αἱ κάκιστ ´ ἀπολούμεναι

φέρειν γυναῖκές μοι .

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Πολύς τις ἔρχεται

ὄχλος , ὡς ἔοικε · στρώματ ´ ἀδιήγηθ ´ ὅσα 405

φέρεις .

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

Τί δ ´ ἐγὼ < δρῶ >;

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Ταῦτ ´ ἔρεισον δεῦρ ´ .

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

Ἰδού .

Ἐὰν ἴδῃ γὰρ ἐνύπνιον τὸν Πᾶνα τὸν

Παιανιοῖ , τούτωι βαδιούμεθ ´ , οἶδ ´ ὅτι ,

θύσοντες εὐθύς .

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Τίς δ ´ ἑόρακεν ἐνύπνιον ;

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

Ἄνθρωπε , μή με κόφθ ´ .

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Ὅμως εἶπον, Γέτα · 410

τίς εἶδεν ;

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

Ἡ κεκτημένη .

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Τί , πρὸς θεῶν ;

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

Ἀπολεῖς . Ἐδόκει τὸν Πᾶνα ...

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Τουτονὶ λέγεις ;

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

τοῦτον.

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Τί ποιεῖν ;

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

...τῷ τροφίμῳ τῷ Σωστράτωι ...

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Κομψῳ νεανίσκωι γε .

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

... περικρούειν πέδας ...

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Ἄπολλον.

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

... εἶτα δόντα διφθέραν τε καὶ 415

δίκελλαν ἐν τοῦ πλησίον τῷ χωρίῳ

σκάπτειν κελεύειν .

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Ἄτοπον .

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

Ἀλλὰ θύομεν

διὰ τοῦθ ´ , ἵν ´ εἰς βέλτιον ἀποϐῇ τὸ φοϐερόν .

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Μεμάθηκα . Πάλιν αἴρου δὲ ταυτὶ καὶ φέρε

εἴσω . Ποῶμεν στιϐάδας ἔνδον εὐτρεπεῖς 420

καὶ τἆλλ ´ ἕτοιμα . Μηδὲν ἐπικωλυέτω

θῦσαί γ ´ ἐπὰν ἔλθωσιν · ἀλλ ´ ἀγαθῆι τύχηι .

Καὶ τὰς ὀφρῦς ἄνες ποτ ´ , ὦ τρισάθλιε ·

ἐγώ σε χορτάσω κατὰ τρόπον τήμερον .

ΓΕΤΑΣ ῾Ο ΔΟΥΛΟΣ

Ἐπαινέτης σοῦ τ ´ εἰμὶ καὶ τῆς σῆς τέχνης 425

ἔγωγ ´ ἀεί ποτ ´ . - οὐχὶ πιστεύω δ ´ ὅμως.

 

Acte II, Scène 3 (393-426)

(Le cuisinier Sicon, qui amène un mouton, et Gétas)

Sicon -- Ce mouton-ci, c’est une calamité peu ordinaire ! Va-t’en au gouffre ! Si je le porte en le soulevant en l’air, il se tient par la bouche à une jeune branche de figuier, bouffe les feuilles et tire de toutes ses forces ; d’un autre côté, si on le laisse par terre, il n’avance pas. C’est le contraire  : c’est moi, le cuisinier, qui suis mis en pièces par cet animal, à force de le haler sur la route ! [400] Mais voici par chance le nymphée où nous ferons le sacrifice. Salut, Pan ! Gétas, mon garçon, tu es à ce point à la traîne ?

Gétas -- C’est le fardeau de quatre ânes qu’elles m’ont lié dessus, les damnées femelles !

Sicon -- Il vient beaucoup de monde, semble-t-il; quelle quantité indescriptible de couvertures apportes-tu là !

Gétas -- Que vais-je en faire ?

Sicon -- Cale-les ici.

Gétas -- Ça va. Si c’est le Pan de Paiania qu’elle voit en rêve, je sais qu’on va se mettre directement en route pour faire un sacrifice à celui-là !

Sicon -- Qui donc a fait un rêve ?

Gétas -- Mec, ne me les casse pas !

Sicon -- Tout de même, dis-le moi, Gétas : c’est qui ?

Gétas -- La proprio.

Sicon -- Ben quoi, nom de dieux ?

Gétas -- Tu me feras mourir. Il lui semblait que Pan...

Sicon -- Celui-ci, tu veux dire ?

Gétas -- Oui-da.

Sicon -- Faisait quoi ?

Gétas -- Au cher enfant, à Sostrate...

Sicon -- Un élégant jouvenceau, pour sûr... Ben quoi ?

Gétas -- Il lui mettait des entraves aux pieds.

Sicon -- Apollon !

Gétas -- Et puis il lui donnait une peau comme fringue, un hoyau et lui enjoignait de bêcher le lopin ici tout près.

Sicon -- C’est idiot !

Gétas -- C’est pour ça que nous sacrifions, pour que ce rêve effrayant débouche sur quelque chose de meilleur...

Sicon -- Je saisis. Attrape derechef tout ça et porte-le là-dedans. Préparons des lits à l’intérieur et apprêtons le reste. Que rien n’empêche qu’on sacrifie sitôt le monde arrivé, et bonne chance ! Arrête un peu de froncer les sourcils, triple paumé ! Je vais, moi, te préparer une bombance convenable, aujourd’hui !

Gétas -- Je suis à tout jamais le louangeur de ta personne et de ton art ! (Entre ses dents) Et pourtant, je ne m’y fie pas. (Tous deux pénètrent dans le nymphée)

 

 

Texte 4 Dyskolos

Texte 4 Le maître est tombé dans le puits (Acte IV, scènes 1 &2)

 

Simiké, servante de la maison, appelle au secours Sikon, cuisinier loué par la mère de Sostrate qui offre le sacrifice au sanctuaire, puis Gorgias, le beau-fils du Dyscolos, qui habite la maison voisine mais qui est fâché avec son beau-père.

 

 

 

 

ΣΙΜΙΚΗ ΓΡΑΥΣ

Τίς ἂν βοηθήσειεν ; Ὢ τάλαιν ΄ ἐγώ . 620

Τίς ἂν βοηθήσειεν ;

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Ἡράκλεις ἄναξ ,

ἐάσαθ ΄ ἡμᾶς , πρὸς θεῶν καὶ δαιμόνων ,

σπονδὰς ποῆσαι . Λοιδερεῖσθε , τύπτετε ·

οἰμώζετ ΄ · ὢ τῆς οἰκίας τῆς ἐκτόπου .

ΣΙΜΙΚΗ ΓΡΑΥΣ

Ὁ δεσπότης ἐν τῷ φρέατι .

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Πῶς ;

ΣΙΜΙΚΗ ΓΡΑΥΣ

Ὅπως ; 625

Ἵνα τὴν δίκελλαν ἐξέλοι καὶ τὸν κάδον ,

κατέϐαινε κἆιτ ΄ ὤλισθ ΄ ἄνωθεν ὥστε καὶ

πέπτωκεν .

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Οὐ γὰρ ὁ χαλεπὸς γέρων σφόδρα ;

ΣΙΜΙΚΗ ΓΡΑΥΣ

Οὗτος .

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Καλά γ ΄ ἐπόησε , νὴ τὸν Οὐρανόν .

Ὢ φιλτάτη γραῦ , νῦν σὸν ἔργον ἐστί .

ΣΙΜΙΚΗ ΓΡΑΥΣ

Πῶς ; 630

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Ὅλμον τιν ΄ ἢ λίθον τιν ΄ ἢ τοιοῦτό τι

ἄνωθεν ἔνσεισον λαϐοῦσα .

ΣΙΜΙΚΗ ΓΡΑΥΣ

Φίλτατε ,

κατάϐα .

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Πόσειδον , ἵνα τὸ τοῦ λόγου πάθω ;

ἐν τῷ φρέατι κυνὶ μάχωμαι ; Μηδαμῶς .

ΣΙΜΙΚΗ ΓΡΑΥΣ

Ὦ Γοργία , ποῦ γῆς ποτ ΄ εἶ ;

ΓΟΡΓΙΑΣ

Ποῦ γῆς ἐγώ ; 635

Τί ἐστι , Σιμίκη ;

ΣΙΜΙΚΗ ΓΡΑΥΣ

Τί γάρ ; Πάλιν λέγω ·

ὁ δεσπότης ἐν τῷ φρέατι .

ΓΟΡΓΙΑΣ

Σώστρατε ,

ἔξελθε δεῦρ ΄ . - Ἡγοῦ , βάδιζ ΄ εἴσω ταχύ

   

Sim. – Qui pourrait <m'>aider?

Oh! Malheureuse  que je suis ! Qui pourrait <m'>aider?

Sik. – Seigneur Héraclès!

Laissez-nous, au nom des dieux et des divinités,

faire nos libations. Vous injuriez, vous frappez,

Vous gémissez! Oh! L'extravagante maisonnée!

Sim. –Le maître est dans le puits.

Sik. – Comment?

Sim. – Comment !

Pour en retirer la houe et le seau

il descendait, et alors il a glissé d'en haut,

de sorte qu'il est tombé  aussi.

Sik. – N'est-ce pas ce vieillard tout à fait pénible?

Il a bien fait, par Ouranos.

O très chère vieille, maintenant à toi d'agir.

                  (= l'action est tienne)

Sim. – Comment ?

Sik. –  Un mortier, un bloc de pierre ou

quelque chose de tel, d'en haut jette-le <sur lui>

l'ayant pris (=prends-le et jette-le).

Sim. –  Très cher, descends

Sik. –Poséidon! Pour que je subisse le <sort>

du proverbe, que dans le puits je me batte

avec un chien? En aucune façon.

Sim. – O Gorgias, en quel endroit de la terre es-tu?

Go. – En quel endroit de la terre je suis?

Qu’y a-t-il, Simiké ?

Sim. – Ce qu’il y a? je le redis :

Le maître est dans le puits.

Go. – Sostratos,

viens ici! <Toi>, conduis-<nous>,

rentre en vitesse! (= marche vers l'intérieur rapidement)

 

 

 

 

 

ΣΙΚΩΝ ΜΑΓΕΙΡΟΣ

Εἰσὶν θεοί , μὰ τὸν Διόνυσον . Οὐ δίδως

λεϐήτιον θύουσιν , ἱερόσυλε σύ , 640

ἀλλὰ φθονεῖς · ἔκπιθι τὸ φρέαρ εἰσπεσών ,

ἵνα μηδ ΄ ὕδατος ἔχηις μεταδοῦναι μηδενί .

Νυνὶ μὲν αἱ Νύμφαι τετιμωρημέναι

εἴσ΄ αὐτὸν ὑπὲρ ἐμοῦ δικαίως . Οὐδὲ εἷς

μάγειρον ἀδικήσας ἀθῶιος διέφυγεν · 645

ἱεροπρεπής πώς ἐστιν ἡμῶν ἡ τέχνη .

< Ἀλλ ΄ εἰς > τραπεζοποιὸν ὅ τι βούλει πόει .

Ἀλλ ΄ ἆρα μὴ τέθνηκε ; Πάπαν φίλτατον

κλαίουσ΄ ἀποιμώζει τις · οὐδὲν τοῦτό γε 649

< lacune : 4 vers>

δηλονότι καθ < lacune>

οὕτως ἀνιμήσουσι <lacune> 655

τὴν ὄψιν αὐτοῦ τίν <lacune>

οἴεσθ ΄ ἔσεσθαι, πρὸς θεῶν, βεϐαμμένου,

τρέμοντος ; Ἀστείαν . Ἐγὼ μὲν ἡδέως

ἴδοιμ ΄ ἄν , ἄνδρες , νὴ τὸν Ἀπόλλω τουτονί .

Ὑμεῖς δ ΄ ὑπὲρ τούτων , γυναῖκες , σπένδετε · 660

εὔχεσθε τὸν γέροντα σωθῆναι - κακῶς ,

ἀνάπηρον ὄντα , χωλόν · οὕτω γίνεται

ἀλυπότατος γὰρ τῶιδε γείτων τῶι θεῶι

καὶ τοῖς ἀεὶ θύουσιν . Ἐπιμελὲς δέ μοι

τοῦτ ΄ ἔστιν , ἄν τις ἆρα μισθώσητ ΄ ἐμέ. 665

   

 Sicon (seul en scène) -- Il y a des dieux, par Dionysos ! Tu donnes pas de chaudron à des gens qui sacrifient, toi, pilleur de temples, tu refuses ! Dégringole dans ton puits et bois-le jusqu'à la dernière goutte, pour n'avoir à en partager l'eau avec personne ! C'est vrai que les Nymphes m'ont à présent vengé de lui, et c'est bien juste ! Après avoir malmené un cuisinier, il n'est personne qui s'en soit sorti indemne ! Notre art a quelque chose de sacré. (...) L'arrangeur de tables, fais-en ce que tu veux... Mais le bonhomme n'est pas mort ? Y en a une, là, qui se répand en lamentations en appelant « Papa chéri ! ». Mais ça, c'est rien...

[650] (Manquent ici quatre vers complets, ainsi que la fin des trois suivants)

Nom des dieux ! quelle tête va-t-il faire, croyez-vous, une fois bien baigné, tremblotant ? Charmante ! Ben moi, j'aurais plaisir à voir ça, messieurs, par l'Apollon que voici ! (Apostrophant les femmes dans le nymphée) Et vous, mesdames, faites vos libations à cette intention, priez pour que le vieux soit sauvé - bien misérablement, restant estropié et boiteux ! Car ainsi il devient un voisin parfaitement anodin pour le dieu d'ici et pour les gens qui sont continuellement en train de lui faire sacrifice... Ça, ça me tient à cœur, des fois que quelqu'un voudrait m'engager... (Il regagne le nymphée).

 

Texte 4 Dyskolos texte4syskolos.pdf

Texte 5 Vers 710-748 : Repentir de Cnémon ?

 

 

Acte IV, Scène 5 (708-759) (Traduction M. Loicq Berger)

(Manquent environ cinq vers au début de cette scène, qui se caractérise par un changement dans la forme métrique : celle-ci passe du trimètre au tétramètre iambique. Changement significatif, destiné à souligner l'importance psychologique et l'impact dramatique du morceau)

[…] οὐδ’ἂν εἷς δύναιτο με
τοῦτο μεταπεῖσαί τις ὑμῶν, ἀλλὰ συγχωρήσετε·
Ἓν δ’ἴσως ἥμαρτον ὅτι γε τῶν ἁπάντων ᾠόμην
αὐτὸς αὐτάρκης τις εἶναι καὶ δεήσεσθ’ οὐδένος.
Νῦν δ’ἰδὼν ὀξεῖαν οὖσαν ἄσκοπόν τε τοῦ βίου
τὴν τελευτήν, εὗρον οὐκ εὖ τοῦτο γινώσκων τότε.
Δεῖ γὰρ εἶναι – καὶ παρεῖναι – τὸν ἐπικουρήσοντ’ ἀεὶ.
Ἀλλὰ μὰ τὸν Ἥφαιστον – οὓτω σφόδρα διεφθάρην ἐγὼ
τοὺς βίους ὁρῶν ἑκάστους τοὺς λογισμοὺς θ’ὃν τρόπον
πρὸς τὸ κερδαίνειν ἔχουσιν – οὐδέν’ εὔνουν ᾠόμην
ἕτερον ἑτέρῳ τῶν ἁπάντων ἂν γενέσθαι. Τοῦτο δὴ
ἐμποδὼν ἦν μοι. Μόλις δὲ πεῖραν εἷς δέδωκε νῦν
Γοργίας, ἔργον ποήσας ἀνδρὸς εὐγενεστάτου.
Τὸν γὰρ οὐκ ἐῶνθ’ ἑαυτὸν προσιέναι τῇ μῇ θύρᾳ
οὐ βοηθήσανθ’ ἑαυτῷ πώποτ’ εἰς οὐδὲν μέρος,
οὐ προσειπόντ’, οὐ λαλήσανθ’ ἡδέως, σέσωχ’ὅμως.
Εἶπ’ ἂν ἄλλος, καὶ δικαίως· «οὐκ ἐᾷς με προσιέναι,
οὐ προσέρχομ’· οὐδὲν ἡμῖν γέγονας αὐτὸς χρήσιμος·
οὐδ’ ἐγώ σοι νῦν.» Τί δ’ἐστί, μειράκιον ; ἐάν τ’ἐγὼ
ἀποθάνω νῦν – οἴομαι δέ, καὶ κακῶς ἴσως ἔχω –
ἄν τε περισωθῶ, ποοῦμαι σ’ ὑόν, ἅ γ’ ἔχων τυγχάνω,
πάντα σαυτοῦ νόμισον εἶναι. Τήνδε μοι παρεγγυῶ,
ἄνδρα δ’αὐτῆ πόρισον. Εἰ γὰρ καὶ σφόδρ’ ὑγιαίνοιμ’ ἐγώ,
αὐτὸς οὐ δυνήσομ’ εὑρεῖν· οὐ γὰρ ἀρέσει μοί ποτε
οὐδὲ εἷς. Ἀλλ’ ἐμὲ μὲν οὕτω ζῆν ἐᾶθ’ ὡς βούλομαι,
τἄλλα πρᾶττ’ αὐτὸς παραλαβών. Νοῦν ἔχεις σὺν τοῖς θεοῖς,
κηδεμὼν εἶ τῆς ἀδελφῆς· εἰκότως τοῦ κτήματος
ἐπιδίδου σὺ προῖκα τοὐμοῦ διαμετρήσας θἤμισυ,
τό θ’ ἕτερον λαβὼν διοίκει κἀμὲ καὶ τὴν μητέρα.
Ἀλλὰ κατάκλινόν με, θύγατερ. Τῶν δ’ἀναγκαίων λέγειν
πλείον’ οὐκ ἀνδρὸς νομίζω, πλὴν ἐκεῖνο· πρόσιθι, παῖ.
Ὑπὲρ ἐμοῦ γὰρ βούλομ’ εἰπεῖν ὀλίγα σοι καὶ τοῦ τρόπου –
εἰ τοιοῦτοι πάντες ἦσαν, οὔτε τὰ δικαστήρια
ἦν ἄν, οὔθ’ αὑτοὺς ἀπῆγον εἰς τὰ δεσμωτήρια,
οὔτε πόλεμος ἦν, ἔχων δ’ἂν μέτρι’ ἕκαστος ἠγάπα.
Οὐκ ἴσως ταῦτ’ ἔστ’ ἀρεστά· μᾶλλον οὕτω πράττετε.
Ἐκποδὼν ὑμῖν ὁ χαλεπὸς δύσκολός τ’ ἔσται γέρων.
 
 

 

Cnémon (s'adressant à la compagnie réunie autour de lui) -- (...) je voulais (...) Myrrhinè et Gorgias (...) j'ai choisi ; ce n'est peut-être pas juste, mais nul d'entre vous ne pourrait m'en dissuader, vous m'excuserez. Sur un seul point sans doute je me suis trompé : c'est que je croyais être capable, seul entre tous, de me suffire à moi-même sans avoir besoin de personne. À présent, au contraire, pour avoir vu que la fin de la vie survient avec une inimaginable promptitude, j'ai trouvé que c'était pas bien de penser comme je faisais naguère. C'est vrai qu'il faut avoir et avoir toujours proche de soi la personne qui pourra vous venir en aide. Par Héphaistos, non, je ne croyais pas qu'il existe personne au monde qui soit bien disposé pour autrui - tellement j'étais chamboulé, moi, en voyant les modes de vie des gens et tous leurs raisonnements sur la manière dont ils vont gagner de l'argent. C'est ça, pour sûr, qui me faisait obstacle. Mais maintenant un homme, Gorgias, par l'acte qu'il a fait, m'a donné, non sans peine, la preuve d'un caractère très généreux. Car celui-là même qui ne le laissait pas approcher de sa porte, qui ne lui est jamais venu en aide pour la moindre chose, qui ne le saluait pas et ne lui faisait nulle aimable causette, celui-là, il l'a pourtant sauvé ! Un autre aurait dit - à juste titre : « Tu ne me laisses pas approcher ? Je n'approche pas. Tu ne nous as été utile en rien ? Moi non plus, je ne le suis pas pour toi aujourd'hui ». Alors quoi, mon gars ? Que je meure maintenant - et ce sera même vilainement, je pense, tel que me voilà - ou que d'aventure je survive, je fais de toi mon fils ; et tout ce que je me trouve posséder, considère que c'est à toi. Ma fille ici, je te la remets, pourvois-la d'un mari. Car moi, quand même je me porterais parfaitement bien, je ne saurais lui en trouver un : au grand jamais personne ne me plaira ! Alors moi, si je vis, laissez-moi vivre comme je veux. Recueille et traite toi-même mes affaires. Tu as du bon sens, grâce aux dieux, tu es tout naturellement le protecteur de ta soeur. Mon avoir, répartis-le en deux parts égales, affectes-en une à sa dot, prends l'autre, gère-la et fournis notre subsistance à ta mère et à moi. - Allonge-moi, ma fille. En dire plus qu'il n'est nécessaire, c'est pas digne d'un homme, je crois - quand même, sache encore ceci, mon garçon (...). Car je veux encore t'en dire un brin (...) et sur mon caractère. Si tous étaient (...), il n'y aurait pas de tribunaux, ils ne s'enverraient pas dans les prisons, il n'y aurait pas de guerre, chacun se contenterait du modique qu'il a. Mais peut-être les choses vous plaisent mieux comme ça : soit, faites. Le vieux difficile et grincheux ne vous fera plus obstacle.

More text goes here.

Texte 5 Dyskolos texte5dyskolos.pdf

Dyscolos Texte 5 mot à mot

οὐδ’ἂν εἷς τις ὑμῶν Aucun d’entre vous δύναιτο ne pourrait με τοῦτο μεταπεῖσαί me faire changer d’avis, ἀλλὰ συγχωρήσετε·mais accordez-le-moi ! Ἓν δ’ἴσως ἥμαρτον Peut-être ai-je commis cette seule erreur ὅτι γε τῶν ἁπάντων ᾠόμην de penser que seul entre tous, αὐτὸς αὐτάρκης τις εἶναι je pouvais, me suffire à moi-même καὶ δεήσεσθ’ οὐδένος et n’avoir besoin de personne. Νῦν δ’ἰδὼν Maintenant, ayant vu ὀξεῖαν οὖσαν ἄσκοπόν τε τοῦ βίου τὴν τελευτήν que la fin de la vie était soudaine et imprévisible, εὗρον οὐκ εὖ τοῦτο γινώσκων τότε j’ai trouvé qu’alors je n’avais pas bien pensé. Δεῖ γὰρ εἶναι – καὶ παρεῖναι Il faut qu’il y ait, et qu’il y ait présent, τὸν ἐπικουρήσοντ’ ἀεὶ toujours quelqu’un pour vous secourir. Ἀλλὰ μὰ τὸν Ἥφαιστον Mais par Héphaistos – οὓτω σφόδρα διεφθάρην ἐγὼ j’étais si fort choqué τοὺς βίους ὁρῶν ἑκάστους en voyant les façons de vivre de chacun, τοὺς λογισμοὺς θ’ὃν τρόπον πρὸς τὸ κερδαίνειν ἔχουσιν les calculs qu’ils faisaient pour avoir du gain – οὐδέν’ εὔνουν ᾠόμην ἕτερον ἑτέρῳ τῶν ἁπάντων ἂν γενέσθαι j’ai cru qu’il ne pouvait y avoir aucun homme au monde bienveillant pour autrui. Τοῦτο δὴ ἐμποδὼν ἦν μοι C’est cela qui m’a fait obstacle. Μόλις δὲ πεῖραν εἷς δέδωκε νῦν Un seul homme m’a donné l’expérience du contraire, Γοργίας Gorgias, ἔργον ποήσας ἀνδρὸς εὐγενεστάτου qui a fait un acte digne de l’homme le plus noble.

 Τὸν γὰρ οὐκ ἐῶνθ’ ἑαυτὸν προσιέναι τῇ μῇ θύρᾳ Celui qui ne le laissait pas franchir la porte, οὐ βοηθήσανθ’ ἑαυτῷ πώποτ’ εἰς οὐδὲν μέρος,qui ne l’a jamais aidé en aucune façon, οὐ προσειπόντ’qui ne lui adressait pas la parole, οὐ λαλήσανθ’ ἡδέως qui n’a jamais conversé avec lui agréablement, σέσωχ’ὅμως pourtant il l’a sauvé. Εἶπ’ ἂν ἄλλος Un autre aurait dit, καὶ δικαίως et à juste titre : « οὐκ ἐᾷς με προσιέναι Tu ne me laisses pas entrer, οὐ προσέρχομ’je n’approche pas ; οὐδὲν ἡμῖν γέγονας αὐτὸς χρήσιμος tu ne nous as jamais été utile, οὐδ’ ἐγώ σοι νῦν je ne le serai pas  non plus pour toi aujourd’hui. » (Geste de protestation de Gorgias) Τί δ’ἐστί, μειράκιον Qu’y a-t-il, jeune homme ? ἐάν τ’ἐγὼ ἀποθάνω νῦν Si je meurs aujourd’hui –

οἴομαι δέ, καὶ κακῶς ἴσως ἔχω je le crois, et sans doute je vais mal – ἄν τε περισωθῶ ou si je suis sauvé, ποοῦμαι σ’ ὑόν je fais de toi mon fils,

 ἅ γ’ ἔχων τυγχάνω ce que je possède πάντα σαυτοῦ νόμισον εἶναι considère que c’est tout entier à toi. Τήνδε μοι παρεγγυῶ Elle (montrant vers sa fille), je te la confie, ἄνδρα δ’αὐτῆ πόρισον procure-lui un mari. Εἰ γὰρ καὶ σφόδρ’ ὑγιαίνοιμ’ ἐγώ En effet, même si je guéris complètement, αὐτὸς οὐ δυνήσομ’ εὑρεῖν je ne saurais en trouver un moi-même : οὐ γὰρ ἀρέσει μοί ποτε
οὐδὲ εἷς.
 aucun ne me plaira jamais. Ἀλλ’ ἐμὲ μὲν οὕτω ζῆν ἐᾶθ’ Mais laissez-moi vivre ὡς βούλομαι comme je l’entends, τἄλλα πρᾶττ’ αὐτὸς et fais toi-même le reste παραλαβών en ayant pris les choses en main; Νοῦν ἔχεις tu as de l’esprit σὺν τοῖς θεοῖς grâce aux dieux, κηδεμὼν εἶ τῆς ἀδελφῆς tu es le protecteur de ta sœur ; εἰκότως τοῦ κτήματος τοὐμοῦ De mon bien, ἐπιδίδου σὺ προῖκα donne-la lui en dot διαμετρήσας θἤμισυ, après en avoir mesuré la moitié, , τό θ’ ἕτερον λαβὼν et prenant l’autre, διοίκει κἀμὲ καὶ τὴν μητέρα.administre mes biens et ceux de ta mère.

 Ἀλλὰ κατάκλινόν με, θύγατερ Mais étends-moi, ma fille. οὐκ ἀνδρὸς νομίζω je considère qu’il n’est pas digne d’un homme Τῶν δ’ἀναγκαίων λέγειν πλείον’ d’en dire plus que nécessaire, πλὴν ἐκεῖνο excepté ceci : πρόσιθι, παῖ avance, mon enfant.

Ὑπὲρ ἐμοῦ γὰρ καὶ τοῦ τρόπου En ma faveur et sur mon caractère,  βούλομ’ εἰπεῖν ὀλίγα σοι je veux te dire peu de mots εἰ τοιοῦτοι πάντες ἦσαν: si tous étaient comme moi, οὔτε τὰ δικαστήρια ἦν ἄν il n’y aurait pas de tribunaux, οὔθ’ αὑτοὺς ἀπῆγον εἰς τὰ δεσμωτήρια on n’emmènerait pas les gens en prison, οὔτε πόλεμος ἦν il n’y aurait pas de guerre, ἔχων δ’ἂν μέτρι’ ἕκαστος ἠγάπα chacun possédant son dû aimerait les autres. Οὐκ ἴσως ταῦτ’ ἔστ’ ἀρεστά Mais cela n’est sans doute pas agréable ; μᾶλλον οὕτω πράττετε vous préférez faire ainsi. ὁ χαλεπὸς δύσκολός τ’ ἔσται γέρων Hé bien, le vieillard difficile et bourru ne sera plus Ἐκποδὼν ὑμῖν dans vos jambes !

Eléments de commentaire tiré de l'article d'Alain Blanchard,

"Pour Ménandre, ici disciple d’Aristote, il n’y a pas de doute : à l’origine, au moment où il a fait son choix initial – prohairesis dit le philosophe dans son Éthique à Nicomaque, III, 4 [4]  ; Cnémon emploie un verbe de la même famille au v. 710 – , le bourru a commis une erreur de jugement (hamartia).

Son jugement a, de fait, été perturbé par l’émotion, une émotion née de la comparaison qu’il a pu faire entre son mode de vie, fondé sur un dur travail, et la conduite des gens des villes cherchant par tous les moyens à s’enrichir (v. 719-720).

On imagine que l’expérience de Cnémon, un paysan vivant dans un coin reculé de l’Attique, a dû être limitée, mais la violence de son émotion, du scandale ressenti (« j’avais la tête à l’envers », dit-il au v. 718), a fait qu’il a universalisé cette expérience : "  il ne pouvait y avoir un seul homme pour vouloir du bien, ai-je cru,/ À son prochain dans tout l’univers, absolument aucun, dit-il aux v. 720-721. « Aucun » ou « tous » sont des mots fréquents dans la bouche du misanthrope (voyez par exemple sa tirade d’entrée à l’acte I) ou dans la bouche de ceux qui le décrivent (ainsi Pan, dans le prologue, v. 7, 10, 34). Platon, Phédon 89e, avait inclus cet effet de généralisation dans sa définition de la misanthropie.

Cette première erreur en a entraîné une seconde : Cnémon a cru qu’il pouvait se passer des autres, vivre en autarcie (v. 714), ignorant que si l’autarcie est à la rigueur possible pour une cité, elle ne l’est pas pour un individu (Aristote, Politique, II, 2 [5] ).

 

Phédon, texte complémentaire sur le misanthrope

  • XXXIX Ἀλλὰ πρῶτον εὐλαβηθῶμέν τι πάθος μὴ πάθωμεν.
    - Τὸ ποῖον; ἦν δ᾽ ἐγώ. 
    - [89d] Μὴ γενώμεθα, ἦ δ᾽ ὅς, μισόλογοι, ὥσπερ οἱ μισάνθρωποι γιγνόμενοι· ὡς οὐκ ἔστιν, ἔφη, ὅτι ἄν τις μεῖζον τούτου κακὸν πάθοι ἢ λόγους μισήσας. Γίγνεται δὲ ἐκ τοῦ αὐτοῦ τρόπου μισολογία τε καὶ μισανθρωπία. Ἤ τε γὰρ μισανθρωπία ἐνδύεται ἐκ τοῦ σφόδρα τινὶ πιστεῦσαι ἄνευ τέχνης, καὶ ἡγήσασθαι παντάπασί γε ἀληθῆ εἶναι καὶ ὑγιῆ καὶ πιστὸν τὸν ἄνθρωπον, ἔπειτα ὀλίγον ὕστερον εὑρεῖν τοῦτον πονηρόν τε καὶ ἄπιστον, καὶ αὖθις ἕτερον· καὶ ὅταν τοῦτο πολλάκις πάθῃ τις καὶ ὑπὸ τούτων μάλιστα οὓς ἂν ἡγήσαιτο [89e] οἰκειοτάτους τε καὶ ἑταιροτάτους, τελευτῶν δὴ θαμὰ προσκρούων μισεῖ τε πάντας καὶ ἡγεῖται οὐδενὸς οὐδὲν ὑγιὲς εἶναι τὸ παράπαν. Ἢ οὐκ ᾔσθησαι σύ πω τοῦτο γιγνόμενον;
    - Πάνυ γε, ἦν δ᾽ ἐγώ.
    - Οὐκοῦν, ἦ δ᾽ ὅς, αἰσχρόν, καὶ δῆλον ὅτι ἄνευ τέχνης τῆς περὶ τἀνθρώπεια ὁ τοιοῦτος χρῆσθαι ἐπεχείρει τοῖς ἀνθρώποις; Εἰ γάρ που μετὰ τέχνης ἐχρῆτο, ὥσπερ ἔχει οὕτως [90a] ἂν ἡγήσατο, τοὺς μὲν χρηστοὺς καὶ πονηροὺς σφόδρα ὀλίγους εἶναι ἑκατέρους, τοὺς δὲ μεταξὺ πλείστους.
  •  TraductionXXXIX. — Mais avant tout mettons-nous en garde contre un danger.
    — Lequel ? dis-je.
    — C’est, dit-il, de devenir misologues, comme on devient misanthrope ; car il ne peut rien arriver de pire à un homme que de prendre en haine les raisonnements. Et la misologie vient de la même source que la misanthropie. Or la misanthropie se glisse dans l’âme quand, faute de connaissance, on a mis une confiance excessive en quelqu’un que l’on croyait vrai, sain et digne de foi, et que, peu de temps après, on découvre qu’il est méchant et faux, et qu’on fait ensuite la même expérience sur un autre. Quand cette expérience s’est renouvelée souvent, en particulier sur ceux qu’on regardait comme ses plus intimes amis et ses meilleurs camarades, on finit, à force d’être choqué, par prendre tout le monde en aversion et par croire qu’il n’y a absolument rien de sain chez personne. N’as-tu pas remarqué toi-même que c’est ce qui arrive ?
    — Si, dis-je.
    — N’est-ce pas une honte ; reprit-il. N’est-il pas clair que, lorsqu’un tel homme entre en rapport avec les hommes, il n’a aucune connaissance de l’humanité ; car s’il en avait eu quelque connaissance, en traitant avec eux, il aurait jugé les choses comme elles sont, c’est-à-dire que les gens tout à fait bons et les gens tout à fait méchants sont en petit nombre les uns et les autres, et ceux qui tiennent le milieu en très grand nombre.

 

ARISTOTE, Poétique (extraits)

Définitions de la tragédie et de ses parties constitutives

 

  • Ch. 7 : “Après ces définitions, disons ce que doit être le système des faits (sústasis tôn pragmáton), puisque c’est le premier et le plus important des éléments de la tragédie. Notre thèse est que la tragédie consiste en la représentation d’une action menée jusqu’à son terme, qui forme un tout et a une certaine étendue ; car une chose peut bien former un tout et n’avoir aucune étendue.
    Un tout, c’est ce qui a un commencement (arkhé), un milieu et une fin (teleuté). Un commencement est ce qui ne suit pas nécessairement autre chose, mais après quoi se trouve ou vient à se produire naturellement autre chose. Une fin au contraire est ce qui vient naturellement après autre chose, en vertu soit de la nécessité soit de la probabilité, mais après quoi ne se trouve rien. Un milieu est ce qui vient après autre chose et après quoi il vient autre chose. Ainsi les histoires (mûthos) bien constituées ne doivent ni commencer au hasard, ni s’achever (teleutân) au hasard, mais satisfaire aux formes que j’ai énoncées” (50 b 21 sq., p. 59).
  • Ch. 9 : “Parmi les histoires (mûthos) et les actions (prâxis) simples (haploûs), les pires sont les histoires ou les actions ‘à épisodes’ (epeisodiódes) ; j’appelle ‘histoire à épisodes’ celle où les épisodes s’enchaînent sans vraisemblance et sans nécessité. Les mauvais poètes composent ce genre d’œuvres parce qu’ils sont ce qu’ils sont, les bons, à cause des acteurs ; en effet, comme ils composent des pièces de concours, ils étirent souvent l’histoire au mépris de sa capacité, et ainsi ils sont forcés de distordre la suite des faits.
    D’autre part, la représentation a pour objet non seulement une action qui va à son terme, mais des événements qui inspirent la frayeur et la pitié, émotions particulièrement fortes lorsqu’un enchaînement causal d’événements se produit contre toute attente ; la surprise sera alors plus forte que s’ils s’étaient produits d’eux-mêmes ou par hasard, puisque nous trouvons les coups du hasard particulièrement surprenants lorsqu’ils semblent arrivés à dessein” (51 b 27-52 a 7, p. 67).
  • Ch. 10 : “Parmi les histoires, les unes sont simples ( haploûs ), les autres complexes ( peplegménos ) ; c’est que, tout simplement, les actions dont les histoires sont les représentations ont ces caractères. J’appelle ‘simple’ une action une et continue dans son déroulement, comme nous l’avons définie – où le renversement ( metábasis ) se produit sans coup de théâtre ( peripéteia ) ni reconnaissance ( anagnórisis –, et ‘complexe’, celle où le renversement se fait avec reconnaissance ou coup de théâtre ou les deux ; tout cela doit découler de l’agencement systématique même de l’histoire, c’est-à-dire survenir comme conséquence des événements antérieurs, et se produire par nécessité ou selon la vraisemblance ; car il est très différent de dire ‘ceci se produit à cause de cela’ et ‘ceci se produit après cela’” (52 a 12 sq., p. 69).
  • Ch. 11 : “Le coup de théâtre ( peripéteia ) est, comme on l’a dit, le renversement ( metabolé ) qui inverse l’effet des actions, et ce, suivant notre formule, vraisemblablement ou nécessairement. (…) La reconnaissance, comme le nom même l’indique, est le renversement qui fait passer de l’ignorance à la connaissance, révélant alliance ou hostilité entre ceux qui sont désignés pour le bonheur ou le malheur. La reconnaissance la plus belle est celle qui s’accompagne d’un coup de théâtre, comme par exemple celle de l’Œdipe” (52 a 22 sq., p. 71).
  • Ch. 12 : “voici les parties distinctes en lesquelles <la tragédie> se divise : le prologue, l’épisode, la sortie ( éxodos ), le chant du chœur (khorikón). (…) Le ‘prologue’ est la partie de la tragédie formant un tout qui précède l’arrivée du chœur, l’ ’épisode’ est la partie formant un tout qui se situe entre des chants du chœur formant chacun un tout ; la ‘sortie’, la partie formant un tout qui n’est pas suivie d’un chant du chœur” (52 b 14 sq., p. 75).
  • Ch. 15 : “Il est donc évident que le dénouement ( lúsis ) de chaque histoire (mûthos) doit aussi résulter de l’histoire elle-même, et non d’un recours à la machine comme dans Médée et dans l’Iliade pour la scène de l’embarquement : la machine ne doit être utilisée que pour les événements extérieurs à la pièce, ceux qui sont arrivés précédemment et dont l’homme ne peut avoir connaissance, ou ceux qui arriveront plus tard et qui exigent une prédiction annoncée par quelqu’un : car nous reconnaissons aux dieux le don de tout voir. Mais il ne doit rien y avoir d’irrationnel dans les faits ; ou si c’est le cas, que ce soit en dehors de la tragédie comme dans l’Œdipe de Sophocle” (54 a 37 sq., p. 85-87).
  • Ch. 18 : “Toute tragédie se compose d’un nouement ( désis ) et d’un dénouement ( lúsis ) ; le nouement comprend les événements extérieurs à l’histoire et souvent une partie des événements intérieurs. J’appelle nouement ce qui va du début jusqu’à la partie qui précède immédiatement le renversement (metabaínein, verbe) qui conduit au bonheur ou au malheur, dénouement ce qui va du début de ce renversement (metábasis) jusqu’à la fin (télos) (…). Pour pouvoir dire légitimement si une tragédie est autre ou la même, rien n’égale l’histoire ; il s’agit bien sûr de celles qui ont même intrigue ( ploké ) et même dénouement ( lúsis ) ; or beaucoup d’auteurs qui nouent bien l’intrigue ( pléko , verbe) la dénouent mal ( lúo , verbe), et il faut toujours maîtriser les deux à la fois.” (55 b 24 sq., p. 97).

https://mediterranees.net/litterature/menandre/masques.html

Pour les masques de la comédie voir cet essai de typologie de la part d'une collègue sur le mediterranées.net

Ménandre - Le Grincheux (Introduction et Plan)

Source: http://bcs.fltr.ucl.ac.be/MEN/DyscIntro.html

Traduction nouvelle annotée de Marie-Paule Loicq-Berger (juin 2005)

Chef de travaux honoraire de l'Université de Liège

Adresse : avenue Nandrin, 24 B-4130 Esneux

<

loicq-berger(_AT_)skynet.be
>

 


 

 

 Sommaire


L'auteur (342/1 - 291/0) et son œuvre

 

L'Athénien Ménandre, représentant majeur de la Comédie Nouvelle (la Nea), appartient, d'une part, au milieu cultivé qui suivait les enseignements de Théophraste (Diogène Laërce, V, 36) et, d'autre part, au cercle politique de Démétrios de Phalère, régent d'Athènes entre 317 et 307, qui avait été lui-même disciple de Théophraste et dont le poète fut l'ami (Diogène Laërce, V, 75 et 79).

Les débuts de Ménandre à la scène se situent vers 322/1 et Le Grincheux date de 317/6, ce qui fait de cette comédie de jeunesse un texte un contemporain des Caractères de Théophraste, composés en 319.

Auteur d'une centaine de pièces, semble-t-il, dont une demi-douzaine seulement sont assez bien conservées et une dizaine n'émergent que sous forme fragmentaire - sans parler des centaines de fragments et citations provenant de pièces non identifiées -, Ménandre a retrouvé vie et jeunesse grâce à la découverte, au milieu du XXe siècle, d'une pièce quasiment intacte : le Dyscolos.

La comédie grecque ancienne, dont Aristophane, au tournant des Ve-IVe siècles, demeure le seul poète vraiment représentatif, est médiocrement connue dans sa phase moyenne, et l'évolution d'un genre appelé à nourrir les grands comiques latins, Plaute et Térence, s'est dès lors trouvée heureusement éclairée.

Quant à la spécificité du contenu, la Nea, à la différence de la Comédie ancienne, ne roule plus sur des problèmes politiques mais sur les conflits personnels qui surgissent au sein des milieux divers de la société : société hellénistique, où les archétypes éthiques et esthétiques tendent à s'effacer devant la prodigieuse découverte de l'individu, où commencent à fleurir les notions de cosmopolitisme et d'humanité, où la philosophie plus que la religion s'efforce d'éclairer la relation homme-Destin. Les rôles types génèrent les convergences et les divergences indispensables à l'action comique, mais le regard de Ménandre pénètre au-delà des masques, à l'intérieur, et ses personnages deviennent peu à peu personnes.

[Sommaire


 

Le Grincheux

 

Date de la pièce

Le texte de la pièce est précédé de trois notes liminaires, fournissant respectivement l'argument, la liste des personnages et, entre les deux, une copie de la didascalie originelle ; cette dernière précisait, selon l'usage, la date de la première représentation du Grincheux, en l'occurrence l'archontat de Démogénès, soit l'année 317/316.

Argument, découpage, style et forme métrique

Argument. Le script est résumé dans un Argument (Hypothesis) dont on n'est toutefois pas sûr qu'il remonte au grand Aristophane de Byzance.

Dans un bourg aux confins de l'Attique, un vieil homme de caractère insociable, Cnémon, vit dans la seule compagnie de sa fille (non nommée) et de sa servante, Simikè ; rebutée par l'humeur du bonhomme, sa femme, une dévote, l'a quitté pour se réfugier chez un fils né d'un précédent mariage, Gorgias. Un jeune chasseur de passage, l'élégant mais timide Sostrate, remarque la jeune fille, s'en éprend follement et souhaite obtenir sa main ; il se confie à ses proches, son commensal Chéréas et son esclave Pyrrhias, puis au demi-frère de la demoiselle, Gorgias. Mais le père est inabordable, malgré les tentatives de l'amoureux, qui joue vainement au paysan laborieux pour amadouer Cnémon. Il faudra que ce dernier soit victime d'un accident, une chute dans son propre puits, pour qu'il ait enfin besoin des autres et pour que, sauvé par eux, son humeur s'adoucisse. Tout finira bien, par des réconciliations et un double mariage : celui de Sostrate avec la fille du Grincheux, celui de l'obligeant Gorgias avec la sœur de Sostrate.

Découpage. La pièce s'organise en cinq actes, système inconnu de la Comédie ancienne mais qui deviendra classique chez les Comiques latins. En guise d'entractes, quatre interventions du chœur, dont les prestations textuelles ne sont pas conservées, mais qui désormais ne joue plus de rôle dans le déroulement de l'action. Celle-ci s'inscrit dans une unité de temps et de lieu : tout se passe en une seule journée, dans le coin du village où se trouvent, auprès de la grotte de Pan et des Nymphes, les maisons de Cnémon et de Gorgias. Sans doute Ménandre applique-t-il librement à la comédie certains conseils aristotéliciens, transmis par Théophraste.

Le style se trouve si naturellement adapté à la diversité des caractères qu'il parvient à conserver une harmonieuse homogénéité au sein même de la variété. Dans un opuscule qui nous est parvenu comme le résumé d'un ouvrage perdu mais sûrement authentique, Plutarque met Ménandre très au-dessus d'Aristophane dont il réprouve la grossièreté ; moraliste et homme de goût, Plutarque trouve aux comédies de Ménandre un charme comparable à « une prairie fleurie, ombragée et parcourue par les brises » et relève qu'elles « sont les seules à contenir autant de mots d'esprit savoureux et réjouissants, comme s'ils provenaient du sel de la mer dont Aphrodite est née ».

La forme métrique la plus utilisée par Ménandre est le trimètre iambique, où sont effectivement rédigés les trois premiers actes et la moitié environ des deux suivants. Afin de souligner le revirement de l'action, les trois dernières scènes de l'acte 4 (708-783) sont en tétramètres trochaïques catalectiques, et la finale en forme de ballet burlesque qui s'élargit dans les trois dernières scènes de l'acte 5 (880-958) est en tétramètres iambiques catalectiques.

[Sommaire]

Caractère littéraire, intérêt psychologique

Indépendamment de son découpage en 5 actes, la pièce comporte trois parties de ton bien différent. En guise d'ouverture, un Prologue bonhomme d'une cinquantaine de vers, monologué par le dieu Pan, morceau à la fois descriptif (paysage et lieux) et narratif (situation des personnages en cause) ; viennent ensuite les dialogues et monologues qui assurent le déroulement de l'action, jusqu'à la conclusion des affaires « sérieuses » (50-849) ; enfin une longue finale (850-970) où la comédie bourgeoise vire au divertissement burlesque à la manière d'Aristophane, avec des pitreries et des danses qui rassemblent héros, figurants, musiciens avant une brève et joyeuse prise de congé.

Le Grincheux est assurément une comédie de bon ton : ni situations scabreuses, ni verdeur d'expression. « Comédie vertueuse », a-t-on dit, qui transcrit une éthique de sagesse et de juste milieu. Ensemble sans fadeur néanmoins, car les rudesses du Grincheux, les malices des esclaves et du cuisinier bavard pimentent heureusement les propos honnêtes et volontiers moralisateurs des jeunes héros.

La pièce est adroitement construite, sur un canevas simple, et révèle un art efficace du suspens. L'attention des spectateurs se trouve en éveil pour l'entrée en scène et le premier monologue de Cnémon, très attendus après le récit de l'esclave terrifié (acte I, scène 3) ; ou pour la rencontre de Sostrate et de l'héroïne (acte I, scène 4), que Pan a annoncé avoir manigancée (Prologue) ; bien préparé aussi l'accident décisif de Cnémon, que pouvait faire prévoir une première gaffe de Simikè (acte III, scène 6 et acte IV, scène 1).

Ainsi que le montrent certains fragments, la Comédie Ancienne déjà avait mis en scène un type de vieillard solitaire et bougon, suggéré par le personnage historique (ou plus exactement historico-légendaire) de Timon d'Athènes, célèbre misanthrope contemporain d'Aristophane et qui inspirera plus tard un dialogue à Lucien -- et un drame à Shakespeare. Ce type, d'abord qualifié de monotrope (littéralement « caractère tout d'une pièce », c'est-à-dire original, solitaire), sera repris par la Comédie Moyenne puis par Ménandre sous le nom de dyscole (« grincheux ») ou de misanthrope : c'est ce dernier terme, précisément qui fournit le « Titre de rechange » indiqué par la didascalie en tête de la pièce de Ménandre.

Aristote, en moraliste et en psychologue, avait bien repéré les traits de caractère du grincheux et Théophraste, sans lui avoir consacré, pour autant que nous le sachions, un portrait à proprement parler, devait nourrir de ce genre d'observations son enseignement de « sciences humaines ».

Le personnage de Ménandre, toutefois, est plus qu'un type conventionnel. La sensibilité du poète lui a conféré les nuances et les incohérences qui sont celles de la vie même. Les raideurs du Grincheux s'assouplissent lorsqu'un accident le confronte à la solidarité et à la sympathie de son entourage, il admet son erreur (v. 713) et consent même à expliquer ses rejets : ce sont les vilenies et la cupidité des hommes qui l'ont détourné de l'humanité (v. 355-356 ; 719-720 ; 743-745). Cnémon cesse alors d'être un grognon « tout d'une pièce » (monotrope) pour devenir un individu assez malheureux dont nous commençons à nous sentir proches ; on est sur la voie qui trouvera son aboutissement dans le Misanthrope de Molière.

Quant aux autres personnages, il en va de même pour les figures majeures, qui sont davantage que des marionnettes : Sostrate, tour à tour « blouson doré » (v. 39-41 ; 257 ; 356 ; 365) et soupirant timide (v. 266-268) ; Gorgias, paysan plutôt rude que nourrit une sorte d'idéalisme philosophique (v. 271-298 ; 767-771). Le cuisinier Sicon, ce mageiros gonflé de l'importance de sa fonction (v. 644-646) qui deviendra un type dans l'histoire ultérieure du genre, ne pourrait-il être, en partie en tout cas, le reflet d'un individu de l'époque, un certain Moschion, le propre cuisinier de Démétrios de Phalère ?

En revanche, conformément aux paramètres culturels du temps, les figures féminines restent floues, de même qu'on le constate dans la galerie des portraits dressés par Théophraste. La mère de Sostrate, la dévote dont les hommes raillent les manies, ne fait qu'une brève apparition sur scène (v. 430-441), tandis que Myrrhinè, l'ex-épouse de Cnémon, n'intervient que dans un rôle muet (acte IV, scène 5). La jeune première, « la jeune fille », au charme libre et rustique (v. 201-202), n'est même pas dénommée ; nulle esquisse de Plangon, la sœur de Sostrate, qu'un parfait happy end va marier à Gorgias : l'une et l'autre ne sont que des enjeux passifs de l'action. La seule qui trouve ici très concrètement sa place est Simikè, la servante fidèle et houspillée du Grincheux : c'est que, par ses involontaires maladresses, la vieille femme devient, quant à elle, un véritable rouage de l'action.

[Sommaire]

Transmission du texte et quelques éditions modernes

Le réalisme du théâtre de Ménandre et la mesure de son influence sur la comédie latine ont été des questions longtemps débattues. En 1957 encore, déplorant l'insuffisance des textes parvenus jusqu'à nous, les hellénistes se résignaient à constater que ce théâtre ne peut être regardé comme le reflet de la société athénienne du temps. Aussi l'émotion fut-elle vive lorsqu'en 1959 parut l'editio princeps du Dyscolos. Une découverte papyrologique d'un intérêt exceptionnel venait en effet révéler la première pièce de Ménandre intégralement conservée, dans un état textuel des plus satisfaisants. Identifiée par Victor Martin dans un papyrus Bodmer daté du IIIe siècle p. C. et très rapidement publiée par lui, cette pièce fera l'objet, quatre ans plus tard, de l'édition désormais classique établie par J.-M. Jacques pour la collection des Universités de France (Paris, « Les Belles Lettres », 1963) ; c'est celle qui a été suivie pour la présente traduction. Les passages lacunaires ou de lecture douteuse ont été signalés par (...).

Pour une lecture rapide en langue française du théâtre de Ménandre, une traduction annotée a été procurée par Alain Blanchard, Ménandre. Théâtre, « Le livre de poche classique », 1990.

En langue anglaise, plusieurs éditions critiques avec traduction et commentaires : E. W. Handley, The Dyskolos of Menander, Londres, 1965; W. E. Blake, Menander's Dyscolus, New York, 1966 ; A. W. Gomme et F. H. Sandbach, Menander. A Commentary, Oxford Univ. Press, 1973 ; W. G. Arnott, Menander, « The Loeb classical Library », 1979.

Présentation du Bourru de Ménandre

Source: http://www.vox-poetica.org/sflgc/concours/tx/bourru.htm

 

Alain Blanchard

Professeur émérite à l’Université de Paris IV Sorbonne

 

Umberto Eco écrit dans son Apostille au nom de la Rose, je cite la traduction de Myriem Bouzaher : « Un titre doit embrouiller les idées, non les embrigader » [1] . Sans doute Ménandre ne cherche-t-il pas à embrouiller les idées, mais ses traducteurs s’en chargent parfois. Depuis la première édition du papyrus Bodmer IV en 1958 par le Suisse Victor Martin, le Bourru de Ménandre – le titre renvoyant ici au personnage principal de la pièce, Cnémon – a été plusieurs fois traduit en français : à quatre reprises au moins (Victor Martin lui-même, qui a donné le ton, André Bataille en 1962, Jean-Marie Jacques en 1963 dans la Collection des Universités de France, et plus récemment Daniel Loayza pour une série de représentations à l’auditorium du Louvre en mars 2004 dans une mise en scène de Catherine Marnas), on a gardé le titre grec de dyscolos, ce qui présente l’inconvénient de donner un caractère exotique à une comédie pourtant des plus classiques ; l’on évitait en fait de prendre parti pour une traduction qui risquait de ne pas s’imposer ; il suffit de lire les différents équivalents adoptés successivement par Bataille dans le texte lui-même où le mot se présente plusieurs fois (« qui a pris les hommes en grippe », v. 7 ; « d’humeur intraitable », v. 184 ; « hostile », v. 242 ; « chagrin », v. 296 ; « poison », v. 893) ; Jacques – dont j’ai suivi le choix majoritaire : « bourru », peut-être aussi en souvenir de la façon dont Célimène traite l’humeur chagrine de l’homme aux rubans verts dans la dernière scène de l’acte V du Misanthrope de Molière, en souvenir aussi de Carlo Goldoni et de son Bourru bienfaisant [2] –, Jacques traduit une fois (v. 296) par « d’humeur difficile » ; « difficile » ou « malcommode » serait plutôt la traduction du mot chalepos que l’on trouve au demeurant plusieurs fois appliqué au bourru (v. 325, 628, 747) : j’ai traduit, suivant les cas, par « le mauvais coucheur » ou « malcommode », mais cela ne doit pas empêcher de faire le lien avec l’Homme difficile d’Hofmannsthal. La Belge Marie-Paule Loicq-Berger en 2005, traduisant la pièce de Ménandre sur internet, l’appelle le Grincheux, ce qui reste acceptable. Mais Jean Martin, pour sa traduction en 1963, a choisi comme titre L’Atrabilaire : une allusion probable au second titre du Misanthrope de Molière, mais qui fait référence à une théorie des humeurs qui n’a aucune base dans la pièce de Ménandre : le verbe melancholân que l’on trouve au v. 89 a le sens populaire de « être fou » : peu de chose à voir avec les états dépressifs dont il est question dans le corpus hippocratique et dans Ménandre lui-même, Bouclier, v. 305-316 et Arbitrage, v. 778-903 [3] . Dans notre source principale du texte, le cahier d’écolier – plus précisément un livre de classe copié par différents élèves – qu’est le papyrus Bodmer, le Bourru est dit avoir comme titre alternatif : Le Misanthrope : la critique (Jacques, Handley, Gomme-Sandbach pour ne citer qu’eux) hésite à le tenir pour original, car il n’est pas attesté dans la tradition indirecte. Il n’est pas illégitime non plus de penser que Ménandre a voulu éviter le terme : s’il est dit une fois que Cnémon n’est pas philanthrôpos (v. 147), c’est au sens faible du mot : il n’est pas « amical ». Plus significatif est le terme d’apanthrôpos, « qui déteste la société des hommes », employé à son sujet au v. 6, et, de fait, Cnémon recherche constamment la solitude, l’erêmia (v. 169, 597, 694). Le seul composé en miso- le qualifiant est celui, plutôt flatteur, de misoponêros, « qui déteste le mal » (v. 388). À vrai dire, pour désigner son attitude, on trouve deux fois le verbe misein, « haïr » (v. 34 et 932) avec comme objet les hommes… ou les femmes. Faut-il alors ne pas condamner absolument le titre donné à la pièce lors de sa première représentation moderne, à Genève le 5 juin 1959 : Cnémon le misanthrope ? Il a le tort de trop faire songer au titre d’un opuscule de Lucien : Timon le misanthrope. Cnémon n’est pas Timon, un personnage historique du ve siècle av. J.-C., unique en son genre, bien propre à exciter la verve des poètes de la Comédie Ancienne plus que celle des poètes de la Comédie Nouvelle, attachés à la peinture de caractères universels et vraisemblables.

 

Mais surtout la misanthropie de Timon, nous le savons par toute la tradition, à commencer par Plutarque, Vie d’Antoine 69-70 et Lucien, s’explique par le fait qu’il est la victime de l’ingratitude de ceux dont il a été le bienfaiteur, le personnage passant alors d’un extrême à l’autre selon un mouvement qui n’est pas sans rappeler celui de Philocléon dans les Guêpes d’Aristophane. Au contraire, l’on ne voit pas d’emblée de qui Cnémon a bien pu être la victime. Que les autres, sa femme, son beau-fils, aient été ses victimes, on le sait dès le prologue. Mais lui, que lui a-t-on fait ? À l’acte I, le jeune premier, Sostrate, cherchant une explication logique de la façon brutale dont le vieillard a accueilli l’esclave Pyrrhias envoyé par lui en ambassadeur (v. 93, 126, 142), n’obtient pas d’autre réponse de l’esclave sinon que Cnémon est un possédé, un dément (v. 88-89) – réponse qui convainc immédiatement l’ami Chéréas : Cnémon est fou, fou à lier (v. 116-117). Mais elle ne saurait nous convaincre à notre tour : Ménandre n’est pas de ceux qui pensent que l’analyse clinique d’un cas de maladie mentale est de nature à fournir le sujet d’une bonne comédie.

 

Il faut chercher ailleurs. Trois pistes s’offrent alors successivement à nous : celle que nous offre le décor, celle que nous offre l’analyse aristotélicienne des caractères, celle enfin que l’histoire du temps nous invite à suivre.

 

I  Le décor.

 

La scène du Bourru est située à Phylé au nord de l’Attique comme l’indique immédiatement le dieu Pan qui prononce le prologue. C’est un décor de fermes qui est présenté au public, avec des échappées sur des champs rocailleux, car nous sommes sur les pentes du Parnès. Mais la ville n’est pas absente pour autant. Si le père et la mère du jeune premier, Sostrate, habitent dans une ferme proche, leur fils vit habituellement à Athènes et entre Phylé et Athènes il y a le bourg de Cholarges, au bas de la vallée et que Cnémon a déserté. De ces endroits « civilisés », on arrive devant les spectateurs par le couloir latéral qui est à leur droite (notre « côté cour »), à quoi s’oppose, à gauche du spectateur (notre « côté jardin »), le couloir latéral qui conduit à la montagne, région encore plus sauvage que le paysage de fermes que montre le décor. C’est là que le jeune Sostrate vient chasser. C’est là que travaille le vieux Cnémon. La rencontre de deux extrêmes, une nature sauvage, sinon hostile, et la ville, avec ses raffinements aristocratiques, est bien propre à exciter immédiatement l’imagination du spectateur.

 

Il y a un rapport étroit entre milieu et caractère : Ménandre insiste par deux fois sur la dureté du travail des paysans du coin. D’abord dans le prologue, v. 2-4 :

                                        L’antre des Nymphes d’où je sors,

                        C’est aux gens de Phylé qu’il appartient, des gens que n’effraient pas les pierres

                        De ce pays à labourer.

Puis à l’acte III, v. 603-606, quand Cnémon a pris la décision tragique de descendre dans son puits et qu’il excite la pitié de Gétas :

                        Trois fois infortuné cet homme ! Quelle vie il mène !

                        Le paysan attique tout craché.

                        À se battre contre des cailloux qui ne produisent que du thym et de la sauge,

                        Il ne gagne que des chagrins, sans rien récolter de bon.

 

Nous avons là une première explication, de type sociologique, du caractère bourru de Cnémon : son travail à la campagne est pénible et peu rentable. C’est un thème constant dans le théâtre de Ménandre : le travail à la campagne rend les hommes secs et durs, au physique comme au moral. On connaît l’opposition existant, dans les Frères deuxième version (les Adelphes de Térence), entre le père sévère qui travaille durement à la campagne et le père doux qui vit à la ville et jouit des facilités qu’elle donne (il faut dire aussi qu’il n’a pas pris le risque de se marier) : l’opposition des caractères se traduit dans l’opposition entre les principes d’éducation professés par les deux frères. On trouverait d’autres exemples, ainsi dans le Bourreau de soi-même ou le Laboureur (je ne cite que les pièces dont on a un aperçu par le Livre de poche). Dans la galerie qu’on pourrait ainsi constituer, Cnémon apparaît comme particulièrement dur ; il a un idéal de pierre : il n’est pas étonnant qu’il veuille changer tous les hommes en statues, comme il le dit dans son monologue d’entrée à l’acte I, v. 153 et suiv. ! Mais cette première explication du personnage est insuffisante.

 

La connaissance des pièces qui viennent d’être nommées, la lecture même du Bourru, obligent en effet à apporter une précision : tous les pères qui travaillent à la campagne ne sont pas nécessairement des pères sévères : ainsi, dans le Bourru, le père de Sostrate est un père compréhensif. On dira qu’il est riche. Mais Cnémon n’est pas pauvre : son exploitation vaut bien deux talents soit 12 000 drachmes (v. 327), environ 30 000 euros, et Cavaignac a pensé à un revenu possible de 840 drachmes (2 100 euros), ce qui, pour l’époque et le lieu, n’est pas rien. Son beau-fils Gorgias, paysan comme lui mais qui est, lui, vraiment pauvre (voir le développement de son esclave Daos, v. 208-211), accepte assez vite de se lier d’amitié (v. 317) avec Sostrate. Les considérations sociologiques ne sauraient tout expliquer.

 

Aussi bien est-ce à la ville que se font ordinairement les misanthropes. À l’origine, Timon est un riche Athénien qui a pour amis les gens de la haute société. Alceste fréquente les salons de l’aristocratie parisienne et Hans Karl ceux de l’aristocratie viennoise. Comme le montrent les pièces de Shakespeare, Molière et Hofmannsthal, c’est là qu’ils font l’expérience de l’ingratitude, du mensonge ou du non-sens humains. Ils sont, dans ces divers domaines, les victimes des hommes. Certes cette expérience peut se faire également à la campagne, Gorgias est là pour le rappeler quand il dit, v. 296 :

                        Un pauvre qui a subi une injustice est l’être le plus bourru.

Mais de quelle injustice Cnémon a-t-il donc été victime ? On ne le voit guère et l’on se demande encore comment il en est arrivé à haïr tous les hommes.

 

II  La théorie des caractères d’Aristote.

 

Pour Ménandre, ici disciple d’Aristote, il n’y a pas de doute : à l’origine, au moment où il a fait son choix initial – prohairesis dit le philosophe dans son Éthique à Nicomaque, III, 4 [4]  ; Cnémon emploie un verbe de la même famille au v. 710 – , le bourru a commis une erreur de jugement (hamartia).

 

Son jugement a, de fait, été perturbé par l’émotion, une émotion née de la comparaison qu’il a pu faire entre son mode de vie, fondé sur un dur travail, et la conduite des gens des villes cherchant par tous les moyens à s’enrichir (v. 719-720). Si l’on veut avoir un exemple de ce que Cnémon peut détester, on lira le Bouclier de Ménandre, la pièce qui succède immédiatement au Bourru dans le papyrus Bodmer : un certain Smicrinès, un vieillard, y incarne le mal (v. 120-121) en voulant épouser une jeune héritière promise à son jeune amoureux et cela pour capter l’héritage.

 

On imagine que l’expérience de Cnémon, un paysan vivant dans un coin reculé de l’Attique, a dû être limitée, mais la violence de son émotion, du scandale ressenti (« j’avais la tête à l’envers », dit-il au v. 718), a fait qu’il a universalisé cette expérience :

                                                           il ne pouvait y avoir un seul homme pour vouloir du bien, ai-je cru,

                  À son prochain dans tout l’univers, absolument aucun,

dit-il aux v. 720-721. « Aucun » ou « tous » sont des mots fréquents dans la bouche du misanthrope (voyez par exemple sa tirade d’entrée à l’acte I) ou dans la bouche de ceux qui le décrivent (ainsi Pan, dans le prologue, v. 7, 10, 34). Platon, Phédon 89e, avait inclus cet effet de généralisation dans sa définition de la misanthropie.

 

Cette première erreur en a entraîné une seconde : Cnémon a cru qu’il pouvait se passer des autres, vivre en autarcie (v. 714), ignorant que si l’autarcie est à la rigueur possible pour une cité, elle ne l’est pas pour un individu (Aristote, Politique, II, 2 [5] ). On observe malgré tout, dans sa conduite, une incohérence, petite mais qui lui sera fatale : Cnémon, en paysan sérieux, s’est marié et, si sa femme a fini par prendre le large, il a dû garder près de lui sa fille, belle et pieuse et, par suite, destinée, avec l’aide du dieu Pan, à attirer un amoureux : qu’en sera-t-il de sa chère solitude ? Pour l’heure, ayant exclu de son entourage son beau-fils (le seul homme de la famille) et ses voisins, il n’a accepté personne pour l’aider dans son dur travail. Erreur tragique pour lui-même (il risquera de perdre la vie en tombant dans son puits) et pour sa charmante fille qui, en dépit de toutes ses qualités tant physiques que morales, risquera de rester vieille fille, son père n’étant pas prêt à agréer, ni même à rencontrer, le moindre prétendant (v. 336-338 et 734-735). Vieille fille et elle-même soumise à de durs travaux. Son humeur résistera-t-elle à un avenir plutôt sombre ? Attilio Mastrocinque a évoqué à juste titre l’Électre d’Euripide : par sa mère et Égisthe, la princesse qui donne son nom à la pièce a été déchue de son rang et confinée à la campagne : insupportable déchéance qu’elle ne cessera de ruminer jusqu’à ce que les auteurs du forfait soient tués. Dans le Bourru, le dieu Pan veillera au contraire à ce que la pièce reste une comédie en donnant à Gorgias l’occasion de prouver à Cnémon que tous les hommes ne sont pas méchants… et de marier très honorablement sa demi-sœur : tout se terminera bien pour tout le monde.

 

Autre composante importante du caractère (en grec êthos avec un êta) : Cnémon est maintenant figé dans une habitude (ethos avec un epsilon) mauvaise en raison de l’erreur commise au départ. Ménandre utilise deux moyens pour rendre sensible ce deuxième aspect du caractère selon Aristote, Éthique à Nicomaque, II, 1 [6] . D’une part Cnémon démarre au quart de tour : il n’a plus besoin de réfléchir. À l’acte I, il ne laisse même pas parler l’esclave Pyrrhias qui cherche à l’aborder gentiment : immédiatement, il lui jette une motte de terre à la figure (v. 110-111), puis il le menace avec un échalas et le poursuit en le bombardant de mottes de terre, de pierres et de poires sauvages. Cette première présentation du personnage a beaucoup impressionné les Anciens comme en témoigne en particulier Lucien. D’autre part, alors même que Cnémon a reconnu son erreur, à l’acte IV, il refuse d’abandonner sa chère solitude, laissant à Gorgias le soin de marier sa sœur ; à l’acte V, il refusera de participer au banquet réunissant les deux familles.

 

Il s’agit là d’une habitude invétérée car Cnémon maintenant est vieux. Les autres misanthropes du répertoire sont dans la force de l’âge. Ils peuvent être amoureux comme Alceste ou Hans Karl, ce qui les rend sympathiques. Cnémon mérite-t-il au moins le respect en raison de son âge ? Certains se sont indignés du traitement vigoureux qu’un esclave (alors qu’il est un homme libre) et un cuisinier (alors qu’il mène la vie austère d’un végétarien), profitant de sa faiblesse, lui font subir à la fin de l’acte V ; si Rousseau avait connu la pièce, il eût été de ceux-là ; l’on imagine également les grondements de Nietzsche sur la décadence que représente la Comédie Nouvelle avec le triomphe de l’esclave rusé. Mais Christian Barataud a eu raison de montrer que c’était le seul moyen de soigner l’état de dépression dans lequel Cnémon se trouve depuis son accident, état qui résulte très normalement de la comparaison qu’il peut faire entre sa vigueur récente (car c’est avec une force digne d’un jeune homme qu’il a poursuivi et bombardé Pyrrhias à l’acte I, battu le cuisinier à l’acte III) et sa faiblesse actuelle, sur laquelle il revient, de façon obsessionnelle, v.692-694, 697-698, 730, 733 et 747.

 

Que le vieillard rencontre des gens vicieux ne fait rien à l’affaire. On doit se reporter ici à l’Éthique à Nicomaque IV, 12 d’Aristote [7] où il est question de l’affabilité et de ses vices opposés. En fait, le philosophe ne donne aucun nom à une disposition proche de l’amitié, mais exempte de tout facteur sentimental. Il peut le faire facilement pour les vices opposés. Certains, dans leurs relations avec autrui, veulent lui éviter toute contrariété ; celui qui vise à faire plaisir sans poursuivre aucune autre fin, est un complaisant. Celui qui agit pour un avantage en argent ou autre est un flatteur. D’autres au contraire font des difficultés en toute occasion : ils sont le type de l’homme bourru (dyscolos) et chicanier.

 

Dans la pièce de Ménandre, le personnage du complaisant est incarné par le jeune Chéréas, ami que Sostrate est allé chercher pour avoir de l’aide dans son entreprise amoureuse à l’acte I : on songe au schéma traditionnel de certaines comédies – surtout celles qu’a adaptées Térence – où deux amis se soutiennent en ces moments de crise. Chéréas se montre effectivement plein d’empressement. Si la jeune fille avait été une courtisane, il l’aurait immédiatement enlevée pour l’offrir à son ami. Puisqu’il s’agit d’une jeune fille libre, il propose de faire l’enquête sur la famille (v. 57-68) : c’est du Labiche avant la lettre. Le personnage du flatteur est représenté par le cuisinier Sicon. Celui-ci se vante, à l’acte III, d’avoir un véritable « art » de la flatterie (v. 492-497). L’homme affable, en tout cas prompt à établir des relations d’amitié, c’est Sostrate ou Gorgias En raison de la structure contraignante dévoilée par Aristote, on ne s’étonnera pas de retrouver flatteurs et complaisants dans les autres œuvres au programme. Aussi bien, dans celles-ci comme dans le Bourru, le personnage du misanthrope, qui, par contraste, se croit seul homme vertueux, a plusieurs fois l’occasion de se lancer dans des tirades satiriques du plus bel effet. Ainsi, dans le Bourru, Cnémon fait la critique des sacrifices sanglants, v. 447 et suiv. Attitude contagieuse : le gentil Sostrate, dans un soudain accès d’admiration pour Cnémon se livre à une satire en règle de l’éducation des demoiselles de la ville (v. 384-389). Il est vrai que c’est pour mieux faire l’éloge de l’éducation que Cnémon a donnée à sa fille, ce en quoi il n’a pas complètement tort (le dieu Pan, v. 34-36, allant aussi dans ce sens), mais qui frise le paradoxe quand le jeune homme fait l’éloge de la noble liberté de celle dont il est tombé amoureux (v. 201) là où Daos, v. 222, voit une conséquence de l’irresponsabilité de Cnémon. Mais la satire non plus que l’éloge ne sont la comédie, et les plus beaux effets comiques résultent du heurt physique entre le bourru et ses contraires, le complaisant, à l’acte I, et surtout le flatteur, à l’acte III, une scène particulièrement bien préparée.

 

On n’oubliera pas cependant que Cnémon, même s’il se croit vertueux (et seul vertueux !), représente un déficit par rapport à la vertu, celle de l’amitié véritable, et s’il fait rire des autres dans la première moitié de la pièce (ce qu’Aristote, dans sa Poétique, appelle le « nœud »), il finira bien par faire rire de lui-même dans la deuxième partie (le « dénouement » aristotélicien que les modernes ont souvent si mal compris en le réduisant aux dernières scènes d’un drame). Pour cela, il faut que le vieillard soit réduit à l’impuissance et le génie de Ménandre aura été de lier cette impuissance à ce qui paraissait faire la force du bourru : par amour de la solitude, Cnémon refuse d’aider les autres, et les autres alors ne peuvent rien faire contre lui, comme on le voit dans la première partie de l’acte III, mais ce même amour de la solitude l’amène tout aussi bien, dans la deuxième partie de l’acte, à refuser d’être aidé par les autres : en dépit de son âge et malgré l’aide offerte par Gétas, il voudra descendre lui-même dans son puits pour y récupérer sa pioche et ce sera l’accident qui le mettra au pouvoir d’autrui.

 

Il semble que l’on a alors parfaitement compris la mécanique du comportement de Cnémon, mais l’on peut aussi avoir l’impression qu’il s’agit là d’une mécanique sans âme, et que l’on est passé à côté de l’essentiel. Comme souvent, dans la Grèce antique, cet essentiel est de nature politique.

 

III  La portée politique du Bourru.

 

C’est un aspect de la pièce largement sous-estimé – quand il n’est pas franchement nié – par toute une partie de la critique, mais, si on le néglige, on ne saurait comprendre vraiment pourquoi Cnémon est devenu un bourru et en quoi il est un bourru un peu particulier. Disons immédiatement que le personnage incarne une des multiples formes de cette jalousie sociale avec laquelle Ménandre, qui a choisi d’en rire, est tenu de jouer. Qu’en est-il exactement ici ? La comédie du Bourru a été représentée au début de 316 av. J.-C. et donc composée en 317, l’année même de l’arrivée au pouvoir à Athènes de l’ami de Ménandre, Démétrius de Phalère, imposé par les Macédoniens. Démétrius a immédiatement rétabli un régime censitaire que les Athéniens avaient connu quelques années auparavant avec le vieux général Phocion mais que les démocrates avaient aboli quand ils avaient pu prendre le pouvoir – prise de pouvoir qui s’était bientôt accompagnée du procès et de l’exécution de ce même Phocion. On remarque seulement qu’avec Démétrius, le cens est abaissé à 1000 drachmes au lieu des 2000 drachmes exigées par Phocion. D’une façon générale, Démétrius a cherché à gouverner les Athéniens avec affabilité (en grec philanthrôpia), comme nous l’apprend Diodore de Sicile, XVIII,74,3.

 

Le problème des régimes censitaires, c’est que ceux qui ont le cens, mais sont près de la limite inférieure, surtout si, pour des raisons d’opportunité, l’on a encore abaissé cette limite, se sentent éventuellement plus proches des exclus de la vie politique que des gens plus riches avec lesquels ils gouvernent en théorie la cité. Le poète suggère que ce problème n’est pas si grave que cela, au moins à la campagne. Le personnage le plus pauvre de la pièce est incontestablement Gorgias, même s’il est au-dessus de la limite du cens. Or il reconnaît à la fin de la pièce la solidarité qui l’unit au riche laboureur qu’est le père de Sostrate (v. 774-775) :

                                                                 Par Zeus, quelles richesses possède cet homme,

                Et il le mérite, car c’est un cultivateur imbattable.

Pour Ménandre, Gorgias a le bon sens de ne pas faire l’amalgame, que fait pratiquement Cnémon, entre les affairistes de la ville, ces gens conduits par l’appât du gain dont il parle au v. 720, et les grands propriétaires fonciers – entre les nouveaux et les anciens riches. Il y a une valeur commune entre le riche Callippide et le pauvre Gorgias : le travail de la terre. C’est elle qui permet le respect du pauvre par le riche et inversement la reconnaissance du riche par le pauvre, fondements nécessaires, pour le poète, de la solidarité civique. Gorgias intégré dans la famille de Sostrate pourrait être le symbole de la réussite de la politique « philanthropique » de Démétrius, désireux avant tout de prospérité et de paix civile.

 

Mais cette politique peut rencontrer des obstacles inattendus : c’est ce que montre précisément un personnage comme Cnémon. Cet homme qui est, comme on l’a vu à propos des v. 718-720, en pleine confusion d’esprit, en vient quand même, un peu plus tard, lors d’une tentative ultime de justification, v. 743-745, à préciser les raisons du scandale qui l’a tant bouleversé :

                  Si l’on était comme moi, dans le monde, on ne verrait aucun tribunal

                  Fonctionner, on ne verrait pas les gens traînés dans les prisons,

                  Il n’y aurait pas de guerre ; avec le peu qu’il a, chacun vivrait content.

Ces vers ont certes une valeur générale : leur pessimisme paysan quant à la justice et à la guerre fait songer à celui d’Hésiode et d’Aristophane et peut nous toucher encore aujourd’hui, mais les spectateurs de 316 pouvaient-ils y voir autre chose qu’une allusion à l’actualité, en particulier le procès et la mort de Phocion, victime des démocrates ? Francesco della Corte a eu raison d’insister sur ce point, mais il éloigne trop Ménandre de Démétrius de Phalère et David Wiles est, à mon avis, plus dans le vrai en distinguant bien Cnémon, peut-être proche de Phocion, et Ménandre, proche d’un Démétrius de Phalère dont la politique diffère quelque peu de celle de Phocion : moins austère et moins rigoriste.

 

Pour le poète, Cnémon est une victime paradoxale des démocrates. Certes on ne pouvait s’attendre à ce qu’un paysan comme lui approuvât le procès et l’exécution de Phocion non plus que les grands appels à reprendre la politique belliqueuse et militariste de l’Athènes démocratique. Mais sa sensibilité a été surprise par toute cette violence étalée. On ne dira pas que le régime de Démétrius de Phalère ne repose pas sur la violence, mais cet homme d’État a eu pour principe de ne pas la montrer ; il a en particulier évité les grands procès politiques.

 

Ce qu’il y a de grave dans l’attitude de Cnémon, c’est que depuis lors il fait sécession. Par haine des hommes et refus de toute société, il laisse une partie de son terrain en friche (v. 163-165). Certes il y travaille beaucoup et il accorde une grande valeur au travail, mais il travaille seul ; il n’admet personne pour l’aider ; Gorgias qui est bien moins riche que lui bénéficie des services d’un esclave, Daos. On aboutit alors à un non-sens économique, conduisant à une véritable aspiration par et à la pauvreté (alors que Démétrius disait à ses concitoyens : « Enrichissez-vous »). Cela équivaut à un suicide (dont la chute dans le puits est un symbole) – suicide dans lequel il risque d’entraîner autrui.

 

Pratiquement, en effet, Cnémon ne fait plus de distinction entre les deux partis (les démocrates et les aristocrates) qui se disputent le pouvoir à Athènes ; cet « ennemi du mal » oublie quel est son camp naturel et n’accepte ni de l’aider ni d’être aidé par lui. Comme les extrêmes se rejoignent parfois, je pense qu’il est intéressant de lire à ce moment les restes d’une autre comédie de Ménandre – restes dont le support papyrologique est conservé à la Sorbonne –, les Sicyoniens : contrairement au Bourru certes, la pièce se passe en ville, à Éleusis en Attique, mais le poète y ridiculise un personnage très voisin par tempérament de Cnémon, le vieux Smicrinès, le type même du réactionnaire (en grec oligarchicos) déjà décrit par Platon au livre VIII de la République, et qui est devenu tel par des efforts prolongés et violents pour sortir de la pauvreté. Ménandre est un aristocrate libéral et il n’a aucune complaisance pour les réactionnaires qu’ils soient du genre de Cnémon ou surtout de celui de Smicrinès – cette complaisance sensible chez Anouilh quand il écrit L’Hurluberlu ou le réactionnaire amoureux, comme Molière avait écrit Le Misanthrope ou l’atrabilaire amoureux. Ni Smicrinès ni Cnémon ne sont amoureux et, finalement, ils se font vigoureusement rappeler à l’ordre.

 

 

Conclusion

 

Dans la galerie des « misanthropes », Cnémon occupe ainsi une place à part. C’est un vieillard imaginé par un jeune homme de vingt-cinq ans. Il ne faut pas s’attendre à trouver une trop grande connivence entre le personnage et son auteur comme on la trouve dans le cas des autres misanthropes du théâtre : le bourru est dénoncé comme un personnage dangereux pour lui-même et pour les autres. Mais Cnémon n’est pas non plus absolument condamné par Ménandre ; il n’est pas l’équivalent du Smicrinès du Bouclier, véritable incarnation du mal. Il est victime de ses conditions de travail, de sa faiblesse d’esprit et surtout des convulsions récentes de l’histoire politique d’Athènes. S’il ne l’excuse pas pour autant, Ménandre a choisi le seul châtiment que méritait un tel personnage, saisi par l’illusion cathare et trop enclin à prendre ses désirs pour des réalités : le rire, un rire ni trop léger, ni trop grinçant.

 

Une comédie comme le Bourru interdit toute interprétation romantique. En est-elle moins intéressante ? Ayant assisté aux représentations de 2004 au Louvre, je puis dire que non : l’attention d’un public parfois jeune et difficile a été tout le temps captivée. Cela tient sans aucun doute à la parfaite construction de la pièce qui ne laisse place à aucune insatisfaction. Tous les aspects du personnages, sa force, puis sa faiblesse, son côté tragique ou comique, toutes ses particularités – sociales, familiales et personnelles – sont savamment orchestrés, de minutieuses préparations donnant tout leur sel aux nombreux coups de théâtre qui animent la comédie. Sans doute aussi le texte était-il bien servi par la mise en scène de Catherine Marnas et il serait bon qu’avec le Louvre puisse être réalisé un DVD de ces représentations qui ont été filmées par deux caméras : un de mes vœux les plus chers mais que je n’ai pu encore réaliser. Mieux que dans un livre, le bourru de Ménandre pourrait alors revivre et rivaliser à armes égales avec ses multiples avatars modernes.

 

 

[1] U. Eco, « Postille al Nome della Rosa », Alfabeta 41, 1983, tr. fr. chez Grasset, 1985, puis Livre de poche (p. 9).

[2] Goldoni, Le Bourru Bienfaisant, Comédie en trois actes et en prose dédiée à Madame Marie-Adélaïde de France et représentée à la Cour, la Mardi 5 Novembre 1771, puis, pour la première fois par les Comédiens Français, le Lundi 4 Novembre 1771.

[3] J.-M. Jacques, « La bile noire dans l’antiquité grecque : médecine et littérature », Revue des Études Anciennes 100, 1998, p. 217-234.

[4] Aristote, EN III,4 1111 b 5  et suiv.

[5] Aristote, Pol. II, 2, 1252 et suiv.

[6] Aristote, EN II,1 1103 a 18 et suiv.

[7] Aristote, EN IV,12 1127 a 6-11.

Logon