Pierre Grimal, La littérature latine, Paris, Fayard, 1994, p. 183-192
Né à Rome le 13 juillet 101 av. J-C., d'une famille patricienne prétendant remonter à Iule, le fils d'Énée et de Créüse, il perdit son père en 86 et ce fut sa mère, Aurelia, qui guida son adolescence. L'année précédente, il avait perdu son oncle paternel, C. Julius Caesar Strabo, mis à mort par les partisans de Marius. Strabo était lui-même un excellent orateur auquel Cicéron rendit maintes fois hommage [par exemple Brutus, 207; 309; De oratore, II, 98; III, 30, etc.].
Le jeune César fut, à Rome même, l'élève du grammairien M. Antonius Gnipho, qui écrivit, entre autres, deux livres Sur la langue latine. Gnipho lui apprit à user d'une langue pure, le latin du Latium, et à éviter tout provincialisme et les formations nouvelles calquées sur le grec. En 75, César trouva le loisir de se rendre à Rhodes, où il passa une année entière. C'est pendant ce séjour qu'il entendit l'enseignement de Molon. Il avait donc alors vingt-cinq ans, son goût était déjà formé. Il avait maintes fois pris la parole au forum, le plus souvent comme accusateur, et composé des oeuvres sur lesquelles nous sommes assez mal renseignés, qui montrent seulement l'attrait qu'il ressentait pour l'expression littéraire. Nous ignorons si son Éloge d'Hercule était un poème ou, peut-être, plus vraisemblablement, un discours du genre « encomiastique» . Faut-il le rapprocher du fait que, comme son héros, César devait parcourir les pays de l'Occident et atteindre le rivage de l'Océan ? Si cela n'était pas si hasardeux, on pourrait imaginer que la conquête des Gaules et l'incursion en Bretagne furent la réalisation d'un rêve de jeunesse. César, sans doute vers le même temps (mais cela n'est pas certain), écrivit une tragédie d'Œdipe, probablement en grec, comme l'était l'Éloge d'Hercule [Plutarque, Vie de César, 2; Suétone, Diuus Iulius, 56, 7], et aussi un recueil de « mots célèbres» , dont il aurait poursuivi la rédaction jusqu'aux dernières années de sa vie [Cicéron, Ad familiares, IX, 16, 4]. Auguste, plus tard, jugeant que ces petits ouvrages étaient indignes de César, interdit qu'on les conservât et les bannit des bibliothèques publiques.
Comme Varron à la même époque, César s'intéressait aux problèmes concernant le langage, peut-être sous l'influence de son maître Gnipho, mais sans doute aussi parce qu'il n'a jamais cessé de considérer comme l'une des valeurs les plus sûres de l'esprit romain la création d'un langage capable d'exprimer, avec précision, clarté et élégance, les idées surgies tout au long de la tradition implantée sur le terroir latin. On devine chez lui le désir de ramener l'usage, en matière de langage, à des principes intelligibles, plus ou moins rationnels. C'est dans cet esprit qu'en 54, tandis qu'il traversait les Alpes pour se rendre en Gaule, il composa deux livres De analogia [Suétone, Diuus Iulius, 56, 5] dédiés à Cicéron, sur la question de savoir si les langues obéissent à des lois saisissables ou si elles sont abandonnées à la fantaisie de qui en use [Cicéron, Brutus, 253]. César prenait pour règle l'usage, non seulement pour la syntaxe mais en premier lieu pour le choix des mots (eloquentia), refusant les termes inusités ou archaïques [Aulu-Gelle, Nuits Attiques, I, 10, 4; XIX, 8, 3].
Cependant, même au moment où l'on aurait pu penser que son esprit était totalement occupé par les affaires les plus graves, il composa un poème sur son voyage en Espagne (Iter) en 45 et deux livres en prose, l'Anti-Caton, dictés sur le champ de bataille de Munda, la même année, afin de conjurer le mythe de Caton d'Utique, qui commençait à surgir, notamment grâce à Cicéron.
Consul en 59, il se fait attribuer la Gaule cisalpine et la Gaule transalpine (Narbonnaise). Intervenant, en cette qualité, pour empêcher les Helvètes de traverser en masse cette dernière, il s'engagea profondément dans les affaires du monde celtique et, de 58 à 52, s'assura la maîtrise des Gaules. Lorsque, dès 51, il comprit que le sénat ne prolongerait pas son commandement, il se prépara à résister par les armes. En janvier 49 il franchit le Rubicon (frontière entre l'Italie et la Cisalpine). Ce fut le début de la guerre civile, entre lui et l'armée sénatoriale, aux ordres de Pompée. Vainqueur à Pharsale, en Thessalie, en juin 48, il dut ensuite pacifier l'Orient puis combattre en Afrique, où s'étaient regroupés les Pompéiens. Il les défit à Thapsus. Une nouvelle campagne, en Espagne, lui assura, en mars 45, à Munda, la victoire sur le fils aîné de Pompée. Un an plus tard, le 15 mars 44, il était assassiné à Rome.
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L'oeuvre conservée de César consiste en sept livres sur la guerre des Gaules et trois livres sur la guerre civile. Cicéron, dans le Brutus (écrit, nous l'avons dit, deux ans avant la mort du dictateur) exalte l'oeuvre littéraire de César. Il fait l'éloge de son éloquence (dont nous ne pouvons plus juger) et, plus généralement, loue son élégance, ajoutant à propos de ses écrits en général : « Ils sont nus, bien faits, gracieux, dépouillés de tout ornement oratoire, comme si on leur avait enlevé leurs vêtements. Mais, en voulant fournir aux autres des matériaux tout préparés, où puiseraient ceux qui voudraient écrire l'histoire, il s'est peut-être attiré la reconnaissance des sots, qui voudraient friser tout cela au petit fer, mais aux gens sensés il a ôté l'envie d'écrire, car rien n'est plus agréable, en histoire, qu'une brièveté pure et lumineuse [Cicéron, Brutus, 262].»
Cicéron salue donc ici l'apparition d'une nouvelle manière d'écrire l'histoire, de nouveaux rapports établis, entre celle-ci et l'art oratoire. Parlera-t-on d'un style « attique» ? Mais César s'éloigne de Thucydide et rien dans ses ouvrages ne ressemble au fameux discours de Périclès. C'est vraiment un genre neuf qui apparaît, et cela, pour des raisons bien précises.
César, en les composant, s'était fixé un but qu'il est aisé de découvrir. Ce n'était pas un auteur essayant de créer une oeuvre d'art, mais un politique poussé par la nécessité de convaincre un public : intention commune avec celle d'un orateur composant une suasoria, mais réalisée par des moyens qui ne seront pas tout à fait les mêmes.
Cette oeuvre historique de César, nous la connaissons sous le titre de Commentarii, Commentarii de Bello Gallico et Commentarii de Bello Ciuili. Ces titres ne figurent pas dans les manuscrits. Ils n'en semblent pas moins être authentiques et remontent très vraisemblablement à César lui-même, comme en témoignent un passage du Brutus [262] et un autre de Suétone [Diuus Iulius, 56, 1]. Le mot de commentarius désigne, nous l'avons vu, toutes sortes de notes, insoucieuses d'une quelconque mise en forme littéraire. Les orateurs, avons-nous dit, utilisaient de tels aide-mémoire, qui leur servaient à ne rien oublier de ce qu'ils devaient dire dans le discours qu'ils prononceraient. Tels sont donc les Commentarii de César, non pas des mémoires personnels (comme on commençait à en écrire autour de lui), mais des notes qui n'auraient d'autre but, si l'on en croit César, que de préserver de l'oubli la suite des événements auxquels il a été mêlé. Les préserver de l'oubli et, en même temps, de la malveillance qui s'efforcerait de les déformer, fixer une vérité - d'aucuns diront « sa» vérité. Et, à ce moment, dans la mesure où cet exposé des faits, aussi simple, aussi dépouillé qu'il soit, répond au désir de persuader, la rhétorique se trouve réintroduite. Mais une rhétorique qui n'est plus celle de l'École.
Cette intention explique l'absence, dans ces Commentarii, des ornements habituels. On y trouve, par exemple, fort peu de discours « composés» , dans lesquels l'artifice de l'historien entend révéler la pensée, et aussi la personnalité du personnage dont il raconte les actions. Aucun « discours de Périclès» , nous l'avons dit. César s'interdit, en principe, d'introduire des discours « directs» . Il se contente de résumer, au style indirect, les propos qu'il rapporte et qui deviennent, de ce fait, de simples comptes rendus objectifs. Ainsi se trouvent déjoués les pièges de la rhétorique. De même César ne parle de lui-même qu'à la troisième personne. Il n'apparaît que comme un personnage parmi les autres. Et ce procédé confère au récit une apparence de totale objectivité : César témoin se confond avec le César acteur. Ce qu'il dit de lui-même n'en persuade que mieux.
Il lui arrive, pourtant, de manquer à cette règle et d'introduire un discours au style direct, prononcé par un autre. Deux exemples se trouvent au livre VII, le dernier que César ait composé lui-même. Une fois, lorsque Vercingétorix, accusé de trahison par les siens, se justifie en deux ou trois phrases à la première personne [Bellum Gallicum, VII, 20], qui ont pour effet de dresser le chef arverne en face de ses hommes, de le montrer comme un conducteur de peuple. C'est l'âme même de celui qui va être l'adversaire par excellence, et le symbole de la lutte contre Rome que nous révèlent ces peu de mots. César recourt au vieux procédé oratoire, et le fait seulement lorsque cela est utile pour l'image de cette guerre.
Le long discours prêté à l'Arverne Critognatus, quelques pages plus loin, lorsque, dans Alésia, la situation est désespérée [Bellum Gallicum, VII, 77, 3-16], continue l'intention que nous croyons discerner derrière les propos de Vercingétorix. Il s'agit de montrer, cette fois sans équivoque possible, la véritable nature de cet ennemi que, certains, à Rome, lui reprochent de combattre depuis tant d'années, et dont la résistance met en péril la maiestas du peuple romain. L'exposé objectif fait place à une véritable mise en scène dramatique, d'autant plus apte à persuader que César n'y recourt jamais. Naturellement, on ne pensera pas un moment que ce soient là les propres paroles du Gaulois, pas plus que ce n'étaient, chez Thucydide, celles de Périclès. César, pour persuader le public auquel étaient destinés les Commentaires, use de ce que les rhéteurs appelaient une « prosopopée» , un discours direct prêté à un personnage, réel ou supposé, voire à une entité imaginaire. Les orateurs s'en servaient volontiers devant un tribunal, lorsqu'ils prétendaient, par exemple [Quintilien, Institution oratoire, IX, 2, 30], dévoiler sous une forme frappante les pensées de l'adversaire. Cette fiction, dit Quintilien, est fort efficace; elle ne laissera l'auditeur incrédule que si l'orateur fait exprimer à son personnage des pensées qu'il est absurde de lui prêter. Il n'est nullement certain que Critognatus ait voulu persuader ses compatriotes de se dévorer entre eux. Mais les Romains avaient conservé le souvenir du siège de Numance, au cours duquel, manquant de vivre, les ennemis avaient consommé de la chair humaine. Ils ne pouvaient manquer de faire le rapprochement et de trouver plausible qu'il en eût été de même dans Alésia. César prenait ainsi place, dans les esprits, aux côtés de Scipion Émilien [Appien, Iberica, 96-97]. S'il avait enfreint, dans ces quelques pages, la règle d'objectivité qu'il s'était imposée ailleurs, ce n'était pas sans raison. Le dénouement est proche. Comme dans une péroraison, il est urgent d'agir sur l'imagination et la sensibilité des auditeurs.
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Les sept livres de la Guerre des Gaules correspondent aux sept campagnes, annuelles, menées par César : le premier à l'année 58, contre les Helvètes, puis contre le Suève Arioviste; le livre second à l'année 57, contre les Suessions et les Nerviens, en Gaule Belgique; le troisième livre résume d'abord quelques actions qui s'étaient déroulées à la fin de 57; puis, c'est la révolte des Vénètes, finalement tenue en échec, et celle des Aquitains, qui sont vaincus par Crassus. Le quatrième livre couvre les opérations de l'année 55 : au début de l'année, les Germains se font menaçants. César décide alors de porter la guerre au-delà du Rhin. Il construit un pont, passe sur la rive droite, ce qui frappe, dit-il, les Germains de terreur. Jugeant que c'était là un résultat suffisant, il se retire et prépare, bien que la saison fût déjà avancée, un débarquement en Bretagne. L'année s'acheva avec le retour en Gaule de l'armée romaine. Le cinquième livre raconte les expéditions de l'année 54. Ce fut d'abord une incursion en Bretagne, l'île que César n'abandonna qu'après y avoir remporté une victoire et obtenu un traité avec les habitants. Mais voici qu'en Gaule, à l'automne, les révoltes se succèdent, et une armée romaine est massacrée. Pourtant, César parvient à rétablir la situation, mais il doit rester sur place, au lieu de revenir en Italie. Il passe en Gaule la mauvaise saison.
Le sixième livre s'ouvre, avec l'année 53, sur la menace d'un soulèvement général. Pendant cette veillée d'armes, César dresse un tableau politique et social de la Gaule. C'est là que se trouve le texte fameux relatif aux druides. Puis, en parallèle, il décrit les moeurs des Germains. Ces exposés ethnographiques sont une tradition de l'historiographie, depuis le temps d'Hérodote. Ils avaient été remis à la mode par Posidonius, au début du siècle. Celui du Bellum Gallicum ne sera pas sans influence sur la Germanie de Tacite et il n'est probablement pas gratuit, mais sert d'argument dans la suasoria sous-jacente aux Commentaires. Ce tableau, où César souligne les différences qui séparent le monde barbare de la cité romaine, ne pouvait que mettre en lumière la supériorité humaine de Rome et justifier la « pacification» .
Cependant, cette année-là, César et ses lieutenants mènent avec succès des campagnes d'intimidation en diverses régions de la Gaule. Au livre VII, nous sommes en 52, à la veille de la grande rébellion, celle que provoquera Vercingétorix, nostalgique du grand royaume arverne. C'est le livre des opérations de siège : Avaricum, Gergovie, Alésia. Le livre, et l'année, se terminent par la soumission des Éduens et celle des Arvernes.
Cette composition par année est conforme à la tradition des Annales officielles. Ce cadre s'imposait tout naturellement, étant donné le rythme obligé des opérations, interrompues pendant l'hiver. César se rendait alors en Gaule cisalpine pour exercer les fonctions de sa charge, dont les campagnes militaires n'étaient qu'un aspect. Il devait tenir ses assises, rendre la justice, administrer. Les Commentaires, ainsi composés, pouvaient tenir lieu de rapport officiel, adressé au sénat après chaque année d'exercice. Publiés, ils s'adressaient du même coup à l'ensemble des citoyens, auxquels César « rendait compte» directement.
Pour ces différentes raisons il nous serait précieux de savoir les conditions dans lesquelles ont été rédigés et publiés les Commentarii. L'ont-ils été livre par livre, et rendus publics à la fin de chaque campagne ? Ou bien l'ouvrage entier a-t-il été composé en 51, une fois acquise la victoire sur Vercingétorix ? Ou encore, écrits livre après livre, à la fin de chaque campagne, publiés après la défaite de l'Arverne ?
Il semble probable que César avait rédigé, au terme de chaque année, un compte rendu (pour le sénat et pour lui-même) des événements qui venaient de se dérouler. Il est possible que certains de ces textes aient été diffusés dans un public plus large au fur et à mesure de leur rédaction mais que l'ensemble ait fait l'objet d'une publication globale en 51, au moment où les attaques dirigées contre César, au sénat, étaient de plus en plus vives. Même s'il n'existe aucune preuve formelle, on peut considérer comme des indices d'abord le fait que le récit de la campagne de 51 ne figure pas dans les Commentarii, ensuite l'introduction, dans le sixième livre, de la longue digression ethnologique. Ce tableau, contrasté, des moeurs gauloises et de celles des Germains n'est pas le résultat d'une révélation que César aurait eue au cours des années précédentes, d'une meilleure connaissance qu'il aurait acquise des peuples qu'il combat. Les relations entre les Romains et les différentes tribus gauloises étaient anciennes. Les Germains, depuis l'invasion des Cimbres et des Teutons, n'étaient pas non plus des inconnus à Rome. César ne récite pas ce qu'il vient d'apprendre, il rassemble des notions répandues depuis longtemps, celles dont Cicéron, par exemple, avait usé dans le discours Pro Fonteio. S'il le fait, en 51, c'est qu'il le juge nécessaire pour les besoins de sa suasoria qui a déjà été esquissée par Cicéron dans le discours Sur les provinces consulaires, où il est démontré que César assure, dans sa province, la défense lointaine de Rome contre les peuples barbares, jusqu'à lui menaçants aux frontières de l'Empire. Le souvenir des Teutons et des Cimbres n'est pas effacé. Grâce à César, la Ville n'aura plus à trembler à l'idée que les cavaliers barbares peuvent dévaler jusqu'à ses murailles. Avant César, dit Cicéron, on avait peur des Gaulois. Après lui la puissance gauloise est liée à Rome « par des liens éternels [Cicéron, Sur les provinces consulaires, 32ss]» . La conclusion de Cicéron est, en 55, précisément la même que César entendait suggérer, sans le dire expressément, ce qui eût excité la défiance, en publiant ses Commentaires : il faut maintenir l'imperator dans sa province, lui donner les moyens d'achever sa mission, dont l'issue est vitale pour Rome. Les expéditions de Bretagne et le passage du Rhin apparaissent alors, ainsi que le veut César, comme des opérations avancées pour garantir la sécurité de Rome et non, comme le disent bien des modernes, des tentatives avortées pour pousser plus avant la conquête.
La « démonstration» de César, et ce que nous avons appelé sa suasoria, ne réussit pas à persuader les dirigeants du sénat, et la guerre civile éclata. La publication des Commentarii eut cependant pour effet de rendre César populaire non seulement à Rome mais en Cisalpine, la province la plus exposée à la menace gauloise. Virgile en apportera le témoignage le plus éclatant.
Il est difficile de nier que les Commentarii, en raison de leur apparente objectivité, n'aient eu une grande force persuasive sur l'opinion. Dans l'histoire de la littérature, ils représentent une innovation par rapport à la tradition d'une historiographie partagée entre les Mémoires personnels et une présentation « oratoire» , qui n'est pas absente, nous avons essayé de le montrer, mais qui se dissimule et ne garde de la rhétorique qu'une exigence d'élégance et de clarté, ce que l'on appelait, non sans abus, le style attique.
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Les Commentarii sur la guerre civile reprennent la tactique suivie dans le Bellum Gallicum. Ici encore, il s'agit de frapper l'opinion publique et de justifier la politique de César en face de l'oligarchie sénatoriale. La démonstration devait se poursuivre, en principe, jusqu'à l'anéantissement de l'ennemi. En fait, nous ne trouvons là que les événements de l'année 49 et ceux de l'année 48, où le récit s'arrête brusquement au mois de novembre, devant Alexandrie. La guerre est loin d'être terminée.
Les manuscrits divisent le texte en trois livres, l'année 49 étant répartie entre le livre I et le livre II. Cette division ne remonte certainement pas à César. L'ouvrage est resté inachevé, les nécessités de la guerre contre les Pompéiens, qui avait repris après la mort de Pompée lui-même, ayant entraîné César dans une série de campagnes qui ne devaient se terminer, nous l'avons dit, qu'en mars 45. À ce moment les conditions politiques et la supériorité militaire de César rendaient moins nécessaire d'agir sur une opinion politique presque entièrement conquise.
Le livre I (vrai, y compris le pseudo livre II) contient l'histoire de plusieurs actions : la descente de César le long de l'Adriatique, tandis que se poursuivent de vaines négociations avec les Pompéiens, jusqu'au départ de l'armée sénatoriale pour Dyrrhachium. Puis viennent la campagne contre les armées conduites par des legati de Pompée en Espagne, avec le siège de Marseille, enfin les désastreuses opérations de Curion, chargé par César de défendre l'Afrique. L'année 49 s'achève avec la victoire de César en Espagne et son retour à Rome dans le courant du mois de décembre du calendrier officiel.
Le livre III commence avec le début de janvier 48 et le départ de César pour l'Épire, à la poursuite de Pompée. Puis vient le récit de la guerre, marquée par des opérations diverses, parmi lesquelles de véritables sièges, jusqu'à la bataille de Pharsale, le 10 août (du calendrier officiel). Après quoi, c'est la campagne d'Orient, d'abord à la poursuite de Pompée, puis, après l'assassinat de celui-ci sur l'ordre du jeune Ptolémée, en Égypte, jusqu'au 17 novembre (du même calendrier), où César s'empare de l'île de Pharos et fait exécuter le gouverneur du roi, le « ministre» Pothin, qui le trahissait. Les Commentaires sur la guerre civile ne sont qu'une ébauche. Ils ne possèdent pas l'unité d'inspiration et de ton qui caractérise les Commentaires sur la guerre des Gaules. L'enjeu n'est pas le même. Ce n'est plus Rome qu'il s'agit de préserver. C'est une Rome divisée, qui retourne ses propres forces contre elle-même. César décrit sans joie cette lutte, essayant, quand il le peut, de montrer que l'ennemi est parfois un peuple étranger, et que la guerre devient alors légitime. Ainsi s'explique peut-être le long développement consacré à la campagne autour de Marseille.
Une question souvent posée, à propos des Commentaires - et, tout particulièrement, ceux qui concernent la guerre des Gaules - est celle de l'exactitude, voire la sincérité de César. Un livre célèbre parle, expressément, de « déformation» . Il est certain que César tend à présenter ses actions sous le meilleur jour possible et choisit pour cela les éclairages les plus favorables, omettant ici un détail, ailleurs en majorant un autre, laissant dans le flou des indications numériques, disjoignant des faits qui, dans la réalité, avaient été en relation étroite, etc. Mais il arrive aussi que notre jugement soit faussé par les idées que se sont forgées les Modernes, et que César, finalement, ait été plus exact qu'on ne se l'est longtemps imaginé. Il « pensait» le monde gaulois dans les cadres que lui fournissait la tradition romaine, ce qui, sans doute, pouvait influencer sa politique. Les idées reçues par les Modernes peuvent n'être pas moins déformantes. C'est ainsi que, depuis le XIXe siècle, au moins, on a tendance à parler d'une « nation gauloise» , ce qui est certainement anachronique. César sert souvent de prétexte à des interprétations « nationalistes» de l'histoire au moins aventurées.
Cela apparaît tout particulièrement lorsque l'on cherche à préciser la topographie des Commentaires. On sait, par exemple, qu'il existe autour d'Alésia une polémique toujours renaissante, l'identification de la cité gauloise avec Alise Sainte-Reine étant périodiquement contestée. Mais il y a aussi un problème de Gergovie, un autre d'Uxellodunum, et les controverses, souvent passionnées, ne semblent pas sur le point de s'apaiser. Elles montrent surtout l'extraordinaire fortune des Commentarii, depuis le temps de Cicéron jusqu'à nos jours.
Les Commentaires sur la guerre civile sont rédigés selon les mêmes principes que ceux où César avait retracé les péripéties de la guerre des Gaules. Même parti pris d'objectivité. César ne parle de lui-même qu'à la troisième personne et use, le plus souvent, du style indirect. Mais les exceptions à cette dernière règle sont plus nombreuses que dans le De Bello Gallico. On discerne plus nettement les sentiments de César lui-même, en particulier dans le récit des opérations de Curion, en Afrique, où les simples « notes» habituelles font place à une mise en forme littéraire. Ainsi nous lisons deux discours prêtés à Curion, avant la bataille décisive l'un adressé à son conseil, l'autre aux soldats. L'un et l'autre sont des suasoriae, où, comme le voulait le genre, l'orateur faisait appel à des arguments de caractère général, des considérations sur le rôle de la Fortune et l'honneur militaire [Bellum ciuile, II, 31 et 32]. Une telle page apparaît comme une sorte de « tombeau» , un hommage au jeune héros mort au combat. Il fait apparaître le personnage même de Curion, exalte ses vertus, estompe les défauts de son caractère, que nous révèlent d'autres sources, en particulier la correspondance de Cicéron.
Inversement, César ne dit rien de la conduite de L. Domitius Ahenobarbus pendant le siège de Corfinium et de sa tentative de suicide. Il s'agit sans doute pour lui de ne rien dire qui soit à l'honneur de celui qui, après avoir reçu le pardon de César, s'empressa de soulever contre lui les habitants de Marseille.
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Aux sept livres de la Guerre des Gaules, aux trois (ou deux ?) de la Guerre civile s'ajoutent, pour la première, un huitième livre et, pour la seconde, trois volumes traitant, respectivement, de la guerre d'Alexandrie, de la guerre d'Afrique, de la guerre d'Espagne. Ces ouvrages, qui n'ont pas été écrits par César, forment ce que l'on appelle le Corpus caesarianum. Il semble à peu près certain que le huitième chapitre de la Guerre des Gaules soit l'oeuvre de A. Hirtius, compagnon de César, puis consul en 43, mort cette année-là devant Modène, avec son collègue Pansa. Il l'est beaucoup moins qu'il ait écrit les trois autres ouvrages. Plusieurs noms ont été proposés, sans indices bien assurés. On a pensé à C. Oppius, l'un des agents de César les plus actifs, qui, en l'absence de César, était resté à Rome où il conduisait les affaires pour le compte de son ami. On a pensé même à L. Munatius Plancus, légat et proche collaborateur de César en Gaule et pendant les campagnes suivantes.
On a tenté de dresser un portrait de tel ou tel continuateur de César en s'appuyant sur le style de l'ouvrage. C'est ainsi que l'on a pu écrire, non sans vraisemblance, de l'auteur du Bellum Africum que c'était un homme « non dénué de culture mais inexpert, césarien enthousiaste mais esprit naïf et parfois mal informé. L'auteur peut avoir été un [...] jeune officier...» . D'une manière générale la langue des ouvrages du corpus est beaucoup moins pure que celle des Commentarii remontant à César lui-même. On y relève des traits appartenant à la langue parlée, des tours bannis de la prose classique, ce qui nous permet de mieux comprendre l'esthétique littéraire de César, la discipline qu'il s'impose pour parvenir à une grande pureté dans le choix des mots, pour se conformer à l'usage, mais en se référant à des règles bien précises, qui sont celles de l'analogie, en refusant d'introduire des termes qui ne seraient que des calques du grec. La discipline qui préside à de tels choix répond à la volonté de demeurer fidèle à la langue latine la plus traditionnelle, sans les innovations que suggère souvent la facilité. Tout cela justifie le qualificatif d'imperatoria appliqué dès l'Antiquité à la langue de César. Elle possède, a-t-on dit, la précision et la clarté d'un ordre militaire. Elle répond à cette tendance, que nous avons cru pouvoir relever, dans l'art oratoire de ce temps, celle que les théoriciens qualifiaient d'atticisme mais qui, en réalité, répondait à une exigence profonde de l'esprit romain.
(1) Ces troubles apaisés, il accusa de concussion Cornelius Dolabella, qui avait été honoré du consulat et du triomphe. L'accusé fut absous, et César résolut de se retirer à Rhodes, tant pour se dérober aux ennemis qu'il s'était faits, que pour y consacrer ses loisirs aux leçons d'Apollonius Molon, le plus célèbre rhéteur de ce temps-là. (2) Dans ce trajet, exécuté pendant l'hiver, il fut pris par les pirates, à la hauteur de l'île Pharmacuse; et, non sans la plus vive indignation, il resta leur prisonnier l'espace d'environ quarante jours, n'ayant près de lui qu'un médecin et deux esclaves du service de sa chambre; car il avait dépêché sur le champ ses compagnons et ses autres esclaves, pour lui rapporter l'argent nécessaire à sa rançon. (3) Il la paya cinquante talents, et, à peine débarqué sur le rivage, il poursuivit, à la tête d'une flotte, les pirates qui s'en retournaient, les réduisit en son pouvoir, et les punit du supplice dont il les avait souvent menacés comme en plaisantant.
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(1) Ceterum composita seditione ciuili Cornelium Dolabellam consularem et triumphalem repetundarum postulauit; absolutoque Rhodum secedere statuit, et ad declinandam inuidiam et ut per otium ac requiem Apollonio Moloni, clarissimo tunc dicendi magistro, operam daret. (2) Huc dum hibernis iam mensibus traicit, circa Pharmacussam insulam a praedonibus captus est mansitque apud eos non sine summa indignatione prope quadraginta dies cum uno medico et cubicularis duobus. Nam comites seruosque ceteros initio statim ad expediendas pecunias, quibus redimeretur, dimiserat. (3) Numeratis deinde quinquaginta talentis expositus in litore non distulit quin e uestigio classe deducta persequeretur abeuntis ac redactos in potestatem supplicio, quod saepe illis minatus inter iocum fuerat, adficeret. |
Suétone, Jules César, 11
XI. Il demande un commandement extraordinaire et se venge du refus des grands.
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XIII. Il est nommé souverain pontife. Ses profusions et ses dettes
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L'Alliance des ambitieux: Le triumvirat
"Sous le consulat de Quintus Métellus et de Lucius Afranius, alors que Rome imposait partout sa domination au monde entier et chantait sur les théâtres de Pompée les récentes victoires et les triomphes du Pont et de l'Arménie, la puissance excessive de Pompée provoqua l'ordinaire jalousie des citoyens oisifs. Métellus furieux d'avoir vu diminuer l'éclat de son triomphe de Crète, et Caton, toujours adversaire des citoyens puissants, dénigraient Pompée et critiquaient ses actes. Égaré par le ressentiment, Pompée chercha des appuis pour maintenir son crédit. Crassus brillait alors par sa naissance, ses richesses et son crédit ; il voulait cependant devenir plus puissant encore. César s'élevait grâce à son éloquence, à son courage, et aussi grâce à son consulat. Pompée, toutefois, les dépassait tous les deux. César voulait donc fonder, Crassus accroître, Pompée conserver sa puissance. Tous les trois également avides du pouvoir, ils s'entendirent facilement pour s'emparer de la république. Ils se prêtèrent mutuellement l'appui de leurs forces dans l'intérêt de leur gloire particulière, et César s'empara de la Gaule, Crassus de l'Asie, Pompée de l'Espagne. Ils disposaient de trois puissantes armées, et trois chefs possédaient ainsi en commun l'empire du monde.
Cette domination dura loyalement pendant dix ans, parce qu'une crainte mutuelle maintenait leur union. Mais la mort de Crassus chez les Parthes et celle de Julie, fille de César, qui par les liens de son mariage avec Pompée était un gage de concorde entre le gendre et le beau-père, firent éclater soudain leur jalousie. La puissance de César inquiétait déjà Pompée, et César ne pouvait supporter l'autorité de Pompée. L'un ne voulait pas d'égal, l'autre ne voulait pas de maître, et dans leur rivalité sacrilège, ils se disputaient le premier rang, comme si la fortune d'un si grand empire ne pouvait suffire à deux hommes. "
Florus, Livre IV, 2
Suétone, Jules César, 31
XXXI. Il s'avance la nuit jusqu'au Rubicon
Alea jacta est |
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1) Donc, quand il apprit qu'on n'avait tenu aucun compte de l'opposition des tribuns, et qu'eux-mêmes étaient sortis de Rome, il fit prendre aussitôt les devants à quelques cohortes, et dans le plus grand secret, pour n'éveiller aucun soupçon. Puis, pour donner le change, il assista à un spectacle public, examina le plan d'une école de gladiateurs qu'il voulait faire construire, etdîna, comme de coutume, au milieu de nombreux convives. (2) Mais, après le coucher du soleil, il fit atteler à un chariot les mulets d'une boulangerie voisine et, suivi de fort peu de monde, il prit les chemins les plus détournés. Les flambeaux s'éteignirent; il se trompa de route et erra longtemps au hasard. Enfin, au point du jour, ayant trouvé un guide, il poursuivit à pied par des sentiers étroits (3) Ayant rejoint ses cohortes près du Rubicon, fleuve marquant la limite de sa province, il s'y arrêta quelques instants, et, réfléchissant aux conséquences de son entreprise: "Il est encore temps de retourner sur nos pas, dit-il à ceux qui l'entouraient; une fois ce petit pont franchi, ce sont les armes qui décideront de tout". |
(1) Cum ergo sublatam tribunorum intercessionem ipsosque urbe cessisse nuntiatum esset, praemissis confestim clam cohortibus, ne qua suspicio moueretur, et spectaculo publico per dissimulationem interfuit et formam, qua ludum gladiatorium erat aedificaturus, considerauit et ex consuetudine conuiuio se frequenti dedit. (2) Dein post solis occasum mulis e proximo pistrino ad uehiculum iunctis occultissimum iter modico comitatu ingressus est; et cum luminibus extinctis decessisset uia, diu errabundus tandem ad lucem duce reperto per angustissimos tramites pedibus euasit. (3) Consecutusque cohortis ad Rubiconem flumen, qui prouinciae eius finis erat, paulum constitit, ac reputans quantum moliretur, conuersus ad proximos: "etiam nunc," inquit, "regredi possumus; quod si ponticulum transierimus, omnia armis agenda erunt." |
Texte 3César Bellum Civile |
La Bataille de Pharsale (traduction Nisard) |
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[3,93] (93) Sed nostri milites dato signo cum infestis pilis procucurrissent atque animum aduertissent non concurri a Pompeianis, usu periti ac superioribus pugnis exercitati sua sponte cursum represserunt et ad medium fere spatium constiterunt, ne consumptis uiribus appropinquarent, paruoque intermisso temporis spatio ac rursus renouato cursu pila miserunt celeriterque, ut erat praeceptum a Caesare, gladios strinxerunt. Neque uero Pompeiani huic rei defuerunt. Nam et tela missa exceperunt et impetum legionum tulerunt et ordines suos seruarunt pilisque missis ad gladios redierunt. (Eodem tempore equites ab sinistro Pompei cornu, ut erat imperatum, uniuersi procucurrerunt, omnisque multitudo sagittariorum se profudit. ) Quorum impetum noster equitatus non tulit, sed paulatim loco motus cessit, equitesque Pompei hoc acrius instare et se turmatim explicare aciemque nostram a latere aperto circumire coeperunt. Quod ubi Caesar animaduertit, quartae aciei, quam instituerat sex cohortium, dedit signum. Illi celeriter procucurrerunt infestisque signis tanta ui in Pompei equites impetum fecerunt, ut eorum nemo consisteret, omnesque conuersi non solum loco excederent, sed protinus incitati fuga montes altissimos peterent. Quibus submotis omnes sagittarii funditoresque destituti inermes sine praesidio interfecti sunt. |
3,93] (1) Cependant nos soldats, au signal donné, s'élancent, le javelot à la main; mais, ayant remarqué que ceux de Pompée ne couraient point à eux, instruits par l'expérience, et formés par les combats précédents, ils ralentirent d'eux-mêmes le pas et s'arrêtèrent au milieu de leur course, pour ne pas arriver hors d'haleine; et, quelques moments après, ayant repris leur course, ils lancèrent leurs javelots, et puis, selon l'ordre de César, saisirent leurs épées. (2) Les soldats de Pompée firent bonne contenance; ils reçurent la décharge des traits, soutinrent, sans se rompre, le choc des légions, et, après avoir lancé leurs javelots, mirent aussi l'épée à la main. (3) (En même temps la cavalerie de Pompée, qui était à l'aile gauche, s'élança comme elle en avait l'ordre, et la foule des archers se répandit de toutes parts. ) (4) Notre cavalerie ne soutint pas le choc et plia quelque peu: celle de Pompée ne la pressa que plus vivement, et commença à développer ses escadrons et nous envelopper par le flanc. (5) À cette vue, César donna le signal à la quatrième ligne, composée de six cohortes. (6) Elles s'ébranlèrent aussitôt, et chargèrent avec tant de vigueur la cavalerie de Pompée, que pas un ne tint ferme, et que tous, ayant tourné bride, non seulement quittèrent la place, mais s'enfuirent à la hâte vers les plus hantes montagnes. (7) Eux partis, les frondeurs et les archers se trouvèrent sans défense et sans appui, et tous furent taillés en pièces. |
LUCAIN : M. Annaeus Lucanus est le fils de M. Annaeus Méla, le frère cadet de Sénèque. Né à Cordoue en 39, il vint à Rome avec sa famille dès 40. Parmi ses maîtres on trouve le philosophe stoïcien Cornutus. Parmi ses condisciples figurait le poète Perse, un peu plus âge que lui.
Son milieu social et sa précocité littéraire aidant, Lucain devint vite un protégé de Néron qui lui accorder la questure avant l'âge légal ainsi que l'augurat. Lors de sa première apparition en public, le poète obtint le premier prix aux Neronia de 60, en présentant un éloge de l'empereur.
Mais la disgrâce n'allait pas tarder, provoquée par la jalousie de Néron, qui se croyait des talents littéraires, ou peut-être par des raisons politiques, puisqu'on assiste alors à la mise à l'écart de Sénèque et de tout le clan des Annaei. Impliqué dans la conjuration de Pison en 65, Lucain fut contraint au suicide : il avait 26 ans. Son oeuvre se confond pour nous avec une épopée dont il nous reste dix livres (le dixième est incomplet ou inachevé) : la Pharsale. Ce titre est incorrect et résulte d'une mauvaise interprétation du vers 9,985, où figure l'expression Pharsalia nostra ; Lucain avait intitulé son poème Bellum civile. Mais nous continuons, par habitude, à l'appeler la Pharsale.
Le RUBICON est un petit fleuve côtier qui au nord d'ARIMINUM (RIMINI)sépare la Province de l'ITALIE.Les ROMAINS l'ont investi d'une importance presque sacrée car il représente plus qu'une frontière ; c'est la limite qu'aucun général ROMAIN n'a le droit de franchir à la tête de ses troupes sans y être expressément invité,faute de quoi le général en question est déclaré rebelle et ennemi de la Patrie. La loi ROMAINE assimile cet acte au crime suprême et la punition en est la peine de mort. A l'aube du 12 janvier (17 déc 50) CESAR accomplit le pas décisif et, en traversant le RUBICON, il occupe avec la XIII ème légion ARIMINIUM sans résistance.Il avait dit auparavant en entendant un homme de belle taille qui jouait du chalumeau sur l'autre rive "Allons où nous appellent le langage des dieux et l'injustice de nos ennemis, les dés sont jetés"
Le Rubicon vu par Lucain |
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Iam gelidas Caesar cursu superaverat Alpes LUCAIN, Pharsale, I, 183 - 212 |
Dans sa course, César avait déjà vaincu les glaces des Alpes. En lui-même il projetait d’immenses changements et une guerre future. Quand il atteignit les flots du petit Rubicon, le général crut voir l’apparition immense de la patrie tremblante. Elle brillait dans la nuit obscure. Le visage décomposé, elle répandait ses cheveux blancs autour de sa tête recouverte de tours. Elle s’arrachait la chevelure et se dressait les bras nus. Elle prit la parole tout en gémissant :"Soldats, où allez-vous trop loin? Où portez-vous mes étendards? Si vous venez dans le respect de la loi, si vous êtes de bons citoyens, la frontière se trouve ici." LUCAIN, Pharsale, I, 183 - 212 |
Documents complémentaires
Plutarque :
XXXVI. César n'avait auprès de lui que cinq mille hommes de pied et trois cent chevaux. Il avait laissé au delà des Alpes le reste de son armée, que ses lieutenants devaient bientôt lui amener. Il vit que le commencement de son entreprise et la première attaque qu'il projetait n'avaient pas besoin d'un grand nombre de troupes ; qu'il devait plutôt étonner ses ennemis par sa hardiesse et sa célérité, et qu'ils les effrayerait plus facilement en tombant sur, eux lorsqu'ils s'y attendraient le moins, qu'il ne les forcerait en venant avec de grands préparatifs. Il ordonna donc à ses capitaines et ses chefs de bande de ne prendre que leurs épées, sans aucune autre arme ; de s'emparer d'Ariminium, ville considérable de la Gaule, mais d'y causer le moins de tumulte et d'y verser le moins de sang qu'ils pourraient. Après avoir remis à Hortensius la conduite de son armée, il passa le jour en public à voir combattre des gladiateurs ; et un peu avant la nuit il prit un bain, entra ensuite dans la salle à manger, et resta quelque temps avec ceux qu'il avait invités à souper. Dès que la nuit fut venue, il se leva de table, engagea ses convives à faire bonne chère, et les pria de l'attendre, en les assurant qu'il reviendrait bientôt. Il avait prévenu quelques-uns de ses amis de le suivre, non pas tous ensemble, mais chacun par un chemin différent ; et, montant lui-même dans un chariot de louage, il prit d'abord une autre route que celle qu'il voulait tenir, et tourna bientôt vers Ariminium.
XXXVII. Lorsqu'il fut sur les bords du Rubicon, fleuve qui sépare la Gaule cisalpine du reste de l'Italie, frappé tout à coup des réflexions que lui inspirait l'approche du danger, et qui lui montrèrent de plus près la grandeur et l'audace de son entreprise, il s'arrêta ; et, fixé longtemps à la même place, il pesa, dans un profond silence, les différentes résolutions qui s'offraient à son esprit, balança tour à tour les partis contraires, et changea plusieurs fois d'avis. Il en conféra longtemps avec ceux de ses amis qui l'accompagnaient, parmi lesquels était Asinius Pollion. Il se représenta tous les maux dont le passage de ce fleuve allait être suivi, et tous les jugements qu'on porterait de lui dans la postérité. Enfin, n'écoutant plus que sa passion, et rejetant tous les conseils de la raison, pour se précipiter aveuglément dans l'avenir, il prononça ce mot si ordinaire à ceux qui se livrent à des aventures difficiles et hasardeuses : « Le sort en est jeté ! » et, passant le Rubicon, il marcha avec tant de diligence qu'il arriva le lendemain à Ariminium avant le jour et s'empara de la ville. La nuit qui précéda le passage de ce fleuve, il eut, dit-on, un songe affreux : il lui sembla qu'il avait avec sa mère un commerce incestueux.
La mort de Pompée: la mort d'un stoïcien
Lucain |
La Pharsale |
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Iam venerat horae VIII, 610-636
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Déjà était venu le jour de sa dernière heure. Emmené dans un vaisseau de Pharos, il avait déjà perdu son libre arbitre. Alors les monstres du roi dégainent le fer. Quand il vit l’épée près de lui, il enveloppe son visage et sa tête, ne daignant pas la présenter découverte à la Fortune. Alors il ferme les yeux et retient son souffle de peur d’être obligé de se laisser alors aller à quelques plaintes et d’anéantir sa renommée éternelle par des pleurs. Quand le criminel Achillas transperça son flanc de son épée, il ne consentit aucun gémissement devant le coup reçu. Il méprise le crime et garde le corps immobile. En mourant il s’éprouve et en lui-même il se dit : "Les siècles qui ne tairont jamais les exploits des Romains sont attentifs et le futur observe dans le monde entier la barque et la loyauté de Pharos : maintenant veille à ta renommée. Les destins heureux t’ont permis de passer une vie dans le bonheur. Les peuples ne savent pas, à moins que tu ne leur procure par ta mort, si tu sauras aussi supporter l’adversité. Ne te laisse pas aller à la honte et ne plains pas la source de ton destin. Quelle que soit la main qui te frappe, imagine que c’est la main de ton beau-père. On pourra répandre et déchirer mes membres, je suis, quand même, grands dieux, heureux et aucun dieu n’a le pouvoir d’enlever ce bonheur. Le cours de la vie modifie la prospérité, la mort ne rend pas malheureux. Cornélie voit ce crime et mon petit Pompée aussi. Je t’en prie, ma douleur, empêche avec d'autant plus d’endurance mes gémissements : si mon fils et mon épouse admirent ma mort, c’est qu’ils m’aiment." VIII, 610-636
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Plutarque, vie de Pompée
LXXXV. Il y avait loin de sa galère au rivage ; et comme, dans le trajet, aucun de ceux qui étaient avec lui dans la barque ne lui disait un mot d'honnêteté, il jeta les yeux sur Septimius : "Mon ami, lui dit-il, me trompé-je, ou n'as-tu pas fait autrefois la guerre avec moi ?" Septimius lui répondit affirmativement par un signe de tête, sans lui dire une parole, sans lui montrer aucun intérêt. Il se fait de nouveau un profond silence; et Pompée, prenant des tablettes où il avait écrit un discours grec qu'il devait adresser à Ptolémée, se mit à le lire. Lorsqu'ils furent près du rivage, Cornélie, en proie aux plus vives inquiétudes, regardait avec ses amis de dessus la galère ce qui allait arriver; elle commençait à se rassurer, en voyant plusieurs officiers du roi venir au débarquement de Pompée, comme pour lui faire honneur. Mais dans le moment où il prenait la main de Philippe son affranchi, pour se lever plus facilement, Septimius lui passa le premier, par derrière, son épée au travers du corps, et aussitôt Salvius et Achillas tirèrent leurs épées. Pompée, prenant sa robe avec ses deux mains, s'en couvrit le visage, et sans rien dire ni rien faire d'indigne de lui, jetant un simple soupir, il reçut avec courage tous les coups dont on le frappa. Il était âgé de cinquante-neuf ans et fut tué le lendemain du jour de sa naissance. A la vue de cet assassinat, ceux qui étaient dans la galère de Cornélie et dans les deux autres navires poussèrent des cris affreux qui retentirent jusqu'au rivage; et, levant les ancres, ils prirent précipitamment la fuite, poussés par un vent fort qui les prit en poupe; les Egyptiens, qui se disposaient à les poursuivre, renoncèrent à leur dessein. Les assassins coupèrent la tête à Pompée, et jetèrent hors de la barque le corps tout nu, qu'ils laissèrent exposé aux regards de ceux qui voulurent se repaître de ce spectacle.
M Lounaci, Professeur de Lettres Classiques Contactez moi