De Amicitia Cicéron, 15, 52-55 [15] XV. (52) Non ergo erunt homines deliciis diffluentes audiendi, si quando de amicitia, quam nec usu nec ratione habent cognitam, disputabunt. Nam quis est, pro deorum fidem atque hominum! qui uelit, ut neque diligat quemquam nec ipse ab ullo diligatur, circumfluere omnibus copiis atque in omnium rerum abundantia uiuere? Haec enim est tyrannorum uita nimirum, in qua nulla fides, nulla caritas, nulla stabilis beneuolentiae potest esse fiducia, omnia semper suspecta atque sollicita, nullus locus amicitiae. (53) Quis enim aut eum diligat quem metuat, aut eum a quo se metui putet? Coluntur tamen simulatione dumtaxat ad tempus. Quod si forte, ut fit plerumque, ceciderunt, tum intellegitur quam fuerint inopes amicorum. Quod Tarquinium dixisse ferunt, tum exsulantem se intellexisse quos fidos amicos habuisset, quos infidos, cum iam neutris gratiam referre posset. (54) Quamquam miror, illa superbia et importunitate si quemquam amicum habere potuit. Atque ut huius, quem dixi, mores ueros amicos parare non potuerunt, sic multorum opes praepotentium excludunt amicitias fideles. Non enim solum ipsa Fortuna caeca est sed eos etiam plerumque efficit caecos quos complexa est; itaque efferuntur fere fastidio et contumacia nec quicquam insipiente fortunato intolerabilius fieri potest.
(55) Quid autem stultius quam, cum plurimum copiis, facultatibus, opibus possint, cetera parare, quae parantur pecunia, equos, famulos, uestem egregiam, uasa pretiosa, amicos non parare, optimam et pulcherrimam uitae, ut ita dicam, supellectilem?
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15] XV. - Il ne faudra donc pas écouter les hommes sur qui l'abus des plaisirs a une action dissolvante, quand ils voudront traiter de l'amitié dont ils n'ont ni la connaissance pratique ni la connaissance rationnelle. Je le demande aux dieux et aux hommes, est-il quelqu'un qui consente à vivre dans la plus extrême abondance, à nager dans le luxe, à condition de n'aimer jamais qui que ce soit et de n'être aimé de personne? Telle est la vie des tyrans, certes, une vie où ni la bonne foi, ni l'affection, ni la confiance que mérite un bon vouloir stable, n'ont la moindre place, où règnent constamment le soupçon et l'inquiétude, d'où l'amitié enfin est absente. Comment aimer en effet celui qu'on redoute et de qui l'on doit penser qu'on est redouté? On courtise, il est vrai, les tyrans mais ce n'est que par feinte et pour un temps. S'ils viennent à tomber, ce qui est leur destinée fréquente, on connaît alors combien pauvres ils étaient en amis. C'est ainsi que Tarquin, à ce qu'on rapporte, déclara n'avoir su qu'après son bannissement quels étaient ses amis fidèles, quels les infidèles, parce qu'alors il ne pouvait plus ni récompenser ni punir. Et encore je serais surpris qu'avec son orgueil insupportable il ait pu avoir un seul ami. Or si son caractère s'opposait à ce qu'il eût de vrais amis, dans bien des cas de même la haute situation des puissants exclut toute possibilité d'amitié fidèle, car, aveugle elle-même, la fortune rend en outre souvent aveugles ceux qu'elle comble de caresses : ils sont gonflés d'orgueil, pleins d'arrogance et il ne peut rien y avoir de plus insupportable qu'un sot gâté par la fortune. 55 Quoi de plus insensé cependant, quand on peut beaucoup par la richesse, les ressources, l'influence dont on dispose, que de se procurer des chevaux, des serviteurs, de beaux vêtements, des vases précieux, toutes choses qu'on a pour de l'argent, et ne pas se procurer des amis, comme s'il existait un objet mobilier comparable en valeur et en beauté au rôle de l'amitié dans la vie? |
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SENECA LUCILIO SUO SALUTEM
Videamus ne ista per quae admirationem parare volumus ridicula et odiosa sint. Nempe propositum nostrum est secundum naturam vivere: hoc contra naturam est, torquere corpus suum et faciles odisse munditias et squalorem appetere et cibis non tantum vilibus uti sed taetris et horridis. (5) Quemadmodum desiderare delicatas res luxuriae est, ita usitatas et non magno parabiles fugere dementiae. Frugalitatem exigit philosophia, non poenam; potest autem esse non incompta frugalitas. Hic mihi modus placet: temperetur vita inter bonos mores et publicos; suspiciant omnes vitam nostram sed agnoscant. (6) 'Quid ergo? eadem faciemus quae ceteri? Nihil inter nos et illos intererit?' Plurimum: dissimiles esse nos vulgo sciat qui inspexerit propius; qui domum intraverit nos potius miretur quam supellectilem nostram. Magnus ille est qui fictilibus sic utitur quemadmodum argento, nec ille minor est qui sic argento utitur quemadmodum fictilibus; infirmi animi est pati non posse divitias.
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A Lucilius, Sénèque. Salut
Opiniâtrement livré à l’étude et laissant tout le reste, tu ne travailles qu’à te rendre chaque jour meilleur ; je t’en approuve et je m’en réjouis. Je ne t’exhorte pas à persévérer, je fais plus, je t’en prie. Mais écoute un avis : n’imite point ces hommes moins curieux de faire des progrès que du bruit ; que rien dans ton extérieur ou ton genre de vie n’appelle sur toi les yeux. Étaler une mise repoussante, une chevelure en désordre, une barbe négligée, déclarer la guerre à l’argenterie, établir son lit sur la dure, courir enfin après un nom par les voies les moins naturelles, fuis tout cela. Ce titre de philosophe, si modestement qu’on le porte, est bien assez impopulaire ; que sera-ce si nos habitudes nous retranchent tout d’abord du reste des hommes ? Je veux au-dedans dissemblance complète : au dehors soyons comme tout le monde. Point de toge brillante, ni sordide non plus. Sans posséder d’argenterie où l’or massif serpente en ciselure, ne croyons pas que ce soit preuve de frugalité que de n’avoir ni or ni argent chez soi. Ayons des façons d’être meilleures que celles de la foule, mais non pas tout autres ; sinon, nous allons faire fuir et nous aliéner ceux que nous prétendons réformer. Nous serons cause en outre que nos partisans ne voudront nous imiter en rien, de peur d’avoir à nous imiter en tout. La philosophie a pour principe et pour drapeau le sens commun, l’amour de nos semblables ; nous démentirons cette devise si nous faisons divorce avec les humains.
Prenons garde, en cherchant l’admiration, de tomber dans le ridicule et l’odieux. N’est-il pas vrai que notre but est de vivre selon la nature ? Or il est contre la nature de s’imposer des tortures physiques, d’avoir horreur de la plus simple toilette, d’affectionner la malpropreté et des mets, non seulement grossiers, mais qui répugnent au goût et à la vue. De même que rechercher les délicatesses de la table s’appelle sensualité, fuir des jouissances tout ordinaires et peu coûteuses est de la folie. La philosophie veut qu’on soit tempérant, non bourreau de soi-même ; et la tempérance n’exclut pas un certain apprêt. Voici où j’aime que l’on s’arrête : je voudrais un milieu entre la vertu parfaite et les moeurs du siècle, et que chacun, tout en nous voyant plus haut que soi, se reconnût en nous. « Qu’est-ce à dire ? Ferons-nous donc comme tous les autres ? Point de différence de nous au vulgaire ? » il y en aura certes une grande ; et qui nous examinera de près la sentira bien. Si l’on entre chez nous, que l’admiration soit plutôt pour le maître que pour les meubles. Il y a de la grandeur à se servir d’argile comme on se servirait d’argenterie ; il n’y en a pas moins à se servir d’argenterie comme si c’était de l’argile. C’est faiblesse d’âme de ne pouvoir supporter les richesses.
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Sénèque, De Prouidentia, II, 1-4. |
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Quare multa bonis uiris aduersa eueniunt ? Nihil accidere bono uiro mali potest : non miscentur contraria. Quemadmodum tot amnes, tantum superne deiectorum imbrium, tanta medicatorum uis fontium non mutant saporem maris, ne remittunt quidem, ita aduersarum impetus rerum uiri fortis non uertit animum : manet in statu et quicquid euenit in suum colorem trahit ; est enim omnibus externis potentior. Nec hoc dico : non sentit illa, sed uincit et, alioqui quietus placidusque, contra incurrentia attollitur. Omnia aduersa exercitationes putat. Quis autem, uir modo et erectus ad honesta, non est laboris appetens iusti et ad officia cum periculo promptus ? cui non industrio otium poena est ? Athletas uidemus, quibus uirium cura est, cum fortissimis quibusque confligere et exigere ab iis per quos certamini praeparantur ut totis contra ipsos uiribus utantur : caedi se uexarique patiuntur et, si non inueniunt singulos pares, pluribus simul obiciuntur. Marcet sine aduersario uirtus ; tunc apparet quanta sit quantumque polleat, cum quid possit patientia ostendit. Scias licet idem uiris bonis esse faciendum, ut dura ac difficilia non reformident nec de fato querantur, quicquid accidit boni consulant, in bonum uertant. Non quid, sed quemadmodum feras interest.
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Pourquoi les hommes de bien subissent tant d’infortunes ? Rien de mal ne peut arriver à l’homme de bien : les contraires sont incompatibles. De même que tant de fleuves, de chutes de pluies torrentielles, de sources médicinales ne changent pas la saveur de la mer et ne l’adoucissent même pas, le choc de l’adversité n’altère pas une âme vaillante : elle maintient son caractère et c’est elle qui communique aux événements sa couleur, car son pouvoir est plus grand que celui de tous les objets extérieurs. Je ne dis pas qu’elle ne les sente point, mais elle en triomphe : son calme et sa placidité ordinaires ne l’empêchent pas de faire front contre leurs assauts. Tout malheur, à ses yeux, devient un exercice. Quel est d’ailleurs l’homme digne de ce nom, l’homme vraiment épris de vertu, qui ne désire une épreuve à sa taille et ne cherche des devoirs périlleux à remplir ? Pour une nature énergique l’inaction n’est-elle pas un supplice ? Nous voyons les athlètes soigneux de leur vigueur provoquer les plus rudes champions et exiger que leurs entraîneurs déploient toutes leurs forces contre eux : ils s’offrent sans broncher aux coups et aux horions et, quand ils ne trouvent pas d’égal, s’attaquent à plusieurs rivaux à la fois. Sans adversaire le courage s’étiole ; sa puissance, sa valeur n’éclatent qu’autant que les circonstances lui permettent de faire ses preuves. Persuade-toi que l’homme de bien doit suivre cet exemple, qu’il ne redoute ni la souffrance ni l’effort et ne se plaint jamais de la destinée, que, quoi qu’il advienne, il s’en accommode et le tourne à son avantage. L’important n’est pas ce qu’on supporte, c’est la façon de supporter. Texte établi et traduit par R. Waltz, Les Belles Lettres, Paris, C.U.F., 1927 |
Éloge d'Epicure |
Lucrèce, I,62-79 |
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Humana ante oculos foede cum vita jaceret 62 In terris oppressa gravi sub religione, Quae caput a caeli regionibus ostendebat Horribili super aspectu mortalibus instans, 65 Primum Graius homo mortalis tollere contra Est oculos ausus primusque obsistere contra; Quem neque fama deum nec fulmina nec minitanti Murmure compressit caelum, sed eo magis acrem Inritat animi virtutem, effringere ut arta 70 Naturae primus portarum claustra cupiret. Ergo vivida vis animi pervicit et extra Processit longe flammantia moenia mundi Atque omne immensum peragravit mente animoque, Unde refert nobis victor quid possit oriri, 75 Quid nequeat, finita potestas denique cuique Qua nam sit ratione atque alte terminus haerens. Quare religio pedibus subjecta vicissim Opteritur, nos exaequat victoria caelo. 79 |
Alors que la vie humaine gisait honteusement sous les yeux Écrasée sur les terres sous le poids de la superstition, Qui montrait sa tête, depuis les régions du ciel, Aux mortels, en <les> menaçant d'en-haut de son horrible aspect, Pour la première fois, un Grec, un homme, osa lever face à elle Ses yeux mortels, et, le premier, résister, face à elle; Et lui, ni la réputation des dieux, ni les coups de foudre, ni le ciel Avec son grondement menaçant, ne l'arrêtèrent, mais il excitèrent le courage d'autant plus âpre de son cœur, si bien qu'il désirait briser, le premier, les verrous bien fermés des portes de la nature. Ainsi, l'énergie vigoureuse de son cœur remporta la victoire, et il s'avança loin à l'extérieur des murailles enflammées du monde, Et parcourut aussi le tout immense grâce à son intelligence et son cœur, D'où il nous fait le rapport, vainqueur, de ce qui peut naître, De ce qui ne le peut pas, du système par lequel (quanam ratione), finalement, pour chaque être, un pouvoir a été délimité, et une borne existe, profondément fixée. C'est pourquoi la superstition, soumise, à son tour, Est foulée aux pieds; cette victoire nous rend égaux au ciel. |
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Cum vita humana jaceret in terris ante oculos foede oppressa sub gravi religone quae ostendebat caput a regionibus caeli instans super mortalibus aspectu horribili, primum homo Graius mortalis ausus est tollere oculos contra que primus obsistere contra quem neque fama deum nec fulmina nec caelum murmure minitanti compressit sed irritat eo magis virtutem acrem animi ut cupiret effringere primus claustra arta portarum naturae ergo vis vivida animi pervicit et processit longe extra moenia flammantia mundi atque peragravit omne immensum mente animoque unde nobis refert victor quid possit oriri quid nequeat denique quanam ratione cuique potestas sit finita atque terminus alte haerens quare religio subjecta vicissim victoria nos exaequat caelo
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Alors que la vie humaine gisait/croupissait (jaceret = subj impft) sur terre aux yeux (de tous) honteusement (in terris: plur.poétique) écrasée sous le lourd poids de la religion, (sous une religion pesante) qui montrait sa tête depuis les régions du ciel menaçant par-dessus les mortels par son apparence horrifiante (CCM) en/le premier (primum= adverbe, mais primus est apposition) un (homme) grec, un mortel osa lever les yeux contre (elle) (ausus: part. passé de audeo, es,ere) et le premier s'y opposer de face et ce dernier (quem= relatif de liaison, donc = coordination et pronom de rappel) ni ce que l'on disait sur les dieux (=les mythes) ni les éclairs ni le ciel au grondement menaçant (murmure minanti= Abl. de qualité) ne (l')ont écrasé (compressit= verbe au sg. car accord avec le sujet leplus proche) mais ont éveillé d'autant plus le courage aigu de son eprit à désirer rompre le premier les verrous bloqués (claustra = part passé substantivé au neutre pluriel) des portes de la nature. Donc la force vivifiante de son esprit a vaincu et s'est avancée loin au-delà des remparts enflammés du monde. Alors elle a parcouru (de fond en comble) toute son immensité grâce à son intelligence et à son esprit, d'où il nous rapporte, victorieux, ce qui peut naître ce qui ne le peut pas, Enfin (pour finir), par quelle raison (pron. interrogatif Abl Fém Sing) à chacun son pouvoir est délimité (finita = sens parfait, définitivement) (cuique = datif sing. de quisque) ainsi que son terme profondément fixé. C'est pourquoi la superstition, soumise à son tour, sa victoire nous égale au ciel (aux dieux). |
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M Lounaci, Professeur de Lettres Classiques Contactez moi