Première partie : synthèse (/ 40 points)
Vous rédigerez une synthèse concise, objective et ordonnée des documents suivants.
Document 1 : Karl Marx, Le Capital, 1ère partie (1867).
Document 2 : Emile Zola, L'Assommoir, chap. VI (1877).
Document 3 : Yves Eudes, "Les prodiges de Sophie", Le Monde (14 mars 2012).
Document 4 : Plantu, Wolfgang, tu feras informatique ! (1998).
Deuxième partie : écriture personnelle (/20 points)
Pensez-vous que les machines nous asservissent ou nous libèrent ?
Vous répondrez à cette question d'une façon argumentée, en vous appuyant sur les documents du corpus, vos lectures de l'année et vos connaissances personnelles.
Document 1
Dans la manufacture et le métier, l'ouvrier se sert de son outil ; dans la fabrique, il sert la machine. Là, le mouvement de l'instrument de travail part de lui ; ici, il ne fait que le suivre. Dans la manufacture, les ouvriers forment autant de membres d'un mécanisme vivant. Dans la fabrique, ils sont incorporés à un mécanisme mort qui existe indépendamment d'eux. « La fastidieuse uniformité d'un labeur sans fin occasionnée par un travail mécanique, toujours le même, ressemble au supplice de Sisyphe ; comme le rocher le poids du travail retombe toujours et sans pitié sur le travailleur épuisé. » En même temps que le travail mécanique surexcite au dernier point le système nerveux, il empêche le jeu varié des muscles et comprime toute activité libre du corps et de l'esprit. La facilité même du travail devient une torture en ce sens que la machine ne délivre pas l'ouvrier du travail mais dépouille le travail de son intérêt. Dans toute production capitaliste en tant qu'elle ne crée pas seulement des choses utiles mais encore de la plus-value, les conditions du travail maîtrisent l'ouvrier, bien loin de lui être soumises, mais c'est le machinisme qui le premier donne à ce renversement une réalité technique. Le moyen de travail converti en automate se dresse devant l'ouvrier pendant le procès de travail même sous forme de capital, de travail mort qui domine et pompe sa force vivante.
La grande industrie mécanique achève enfin, comme nous l'avons déjà indiqué, la séparation entre le travail manuel et les puissances intellectuelles de la production qu'elle transforme en pouvoirs du capital sur le travail.
Karl Marx, Le Capital, 1ère partie (1867).
Document 2
Elle pouvait suivre ainsi tout le travail, depuis le fer en barre, dressé contre les murs, jusqu’aux boulons et aux rivets fabriqués, dont des caisses pleines encombraient les coins. Alors, elle comprit, elle eut un sourire en hochant le menton ; mais elle restait tout de même un peu serrée à la gorge, inquiète d’être si petite et si tendre parmi ces rudes travailleurs de métal, se retournant parfois, les sangs glacés, au coup sourd d’une ébarbeuse. Elle s’accoutumait à l’ombre, voyait des enfoncements où des hommes immobiles réglaient la danse haletante des volants, quand un fourneau lâchait brusquement le coup de lumière de sa collerette de flamme. Et, malgré elle, c’était toujours au plafond qu’elle revenait, à la vie, au sang même des machines, au vol souple des courroies, dont elle regardait, les yeux levés, la force énorme et muette passer dans la nuit vague des charpentes.
Cependant, Goujet s’était arrêté devant une des machines à rivets. Il restait là, songeur, la tête basse, les regards fixes. La machine forgeait des rivets de quarante millimètres, avec une aisance tranquille de géante. Et rien n’était plus simple en vérité. Le chauffeur prenait le bout de fer dans le fourneau ; le frappeur le plaçait dans la clouière, qu’un filet d’eau continu arrosait pour éviter d’en détremper l’acier ; et c’était fait, la vis s’abaissait, le boulon sautait à terre, avec sa tête ronde comme coulée au moule. En douze heures, cette sacrée mécanique en fabriquait des centaines de kilogrammes. Goujet n’avait pas de méchanceté ; mais, à certains moments, il aurait volontiers pris Fifine pour taper dans toute cette ferraille, par colère de lui voir des bras plus solides que les siens. Ça lui causait un gros chagrin, même quand il se raisonnait, en se disant que la chair ne pouvait pas lutter contre le fer. Un jour, bien sûr, la machine tuerait l’ouvrier ; déjà leurs journées étaient tombées de douze francs à neuf francs, et on parlait de les diminuer encore ; enfin, elles n’avaient rien de gai, ces grosses bêtes, qui faisaient des rivets et des boulons comme elles auraient fait de la saucisse. Il regarda celle-là trois bonnes minutes sans rien dire ; ses sourcils se fronçaient, sa belle barbe jaune avait un hérissement de menace. Puis, un air de douceur et de résignation amollit peu à peu ses traits. Il se tourna vers Gervaise qui se serrait contre lui, il dit avec un sourire triste :
— Hein ! ça nous dégotte joliment ! Mais peut-être que plus tard ça servira au bonheur de tous.
Gervaise se moquait du bonheur de tous. Elle trouva les boulons à la mécanique mal faits.
— Vous me comprenez, s’écria-t-elle avec feu, ils sont trop bien faits… J’aime mieux les vôtres. On sent la main d’un artiste, au moins.
Emile Zola, L'Assommoir, chap. VI (1877).
Document 3
Sophie est une assistante infaillible, infatigable, disponible 24 heures sur 24. Elle ne tombe pas malade, ne prend pas de congés ni de RTT, ne fait pas de fautes d'orthographe, et reste calme en toutes circonstances. Elle parle plusieurs langues et sait faire de la traduction instantanée. Une fois qu'elle a été achetée et installée dans le système informatique de l'entreprise, elle ne coûte rien.
En coulisse, Sophie est le produit de la combinaison de deux applications. D'une part, un système de contrôle vocal capable de comprendre un humain s'exprimant de façon naturelle - une technologie désormais bien maîtrisée. D'autre part, une plate-forme d'intelligence artificielle plus expérimentale, qui analyse les questions et les instructions, puis fournit une réponse en mode vocal, ou déclenche une opération. En fait, Sophie est un robot virtuel, dont les composantes, au lieu d'être réunies en un seul appareil, sont distribuées à travers le réseau de l'entreprise.
Elle n'est pas encore tout à fait au point, mais elle est en gestation dans les laboratoires de la société française xBrainSoft, basée à Lille. Son directeur, Grégory Renard, prévoit déjà de lui apprendre à gérer les services généraux : "Elle préviendra les employés de l'arrivée d'un colis, appellera un dépanneur si l'ascenseur est bloqué, demandera aux occupants d'un bureau s'ils ont chaud ou froid, pour régler la climatisation." Si un employé a besoin d'une baby-sitter en urgence, elle appellera des personnes susceptibles de le dépanner - sans perdre de temps, car assure Grégory Renard, "elle ne se sentira pas obligée de leur faire la conversation. Il y a une forte demande de dépersonnalisation de certains types de relations".
Par ailleurs, si on demande à Sophie la date de naissance de Victor Hugo ou la liste des concerts de musique techno à Paris pour le mois prochain, elle ira interroger Google, Wikipédia ou une base de données spécialisée. Les négociations avec des sites Internet fournisseurs de contenu utilitaire sont déjà en cours.
Grégory Renard affirme que les coûts d'installation seront raisonnables. Une fois achetée la licence des logiciels, le matériel serait peu coûteux : "Les capteurs sans fil pour salles de réunion coûtent 20 euros pièce", dit-il. Pour étendre à l'infini les capacités de sa plate-forme, la société va l'ouvrir aux développeurs indépendants, qui inventeront leurs propres applications dans tous les domaines. Parallèlement, elle vient de se lancer sur le marché grand public, avec "Angie", une application gratuite de contrôle vocal téléchargeable sur smartphone.
A ce stade, les plates-formes d'intelligence artificielle ne sont pas conçues pour fournir des services inédits, mais pour effectuer des tâches existantes, dévolues à des catégories de personnel qui, jusqu'à présent, se croyaient à l'abri de l'automation. Face à cette possible destruction d'emplois, Philippe Le Fessant, le directeur du marketing, a une réponse toute prête : "Ça ne sera pas la fin des secrétaires, ça va les libérer des tâches routinières, à faible valeur ajoutée, et leur dégager du temps pour des activités plus nobles. Les nouvelles technologies nous condamnent à être intelligents." Cela dit, il reconnaît que sa priorité est ailleurs : "Nous pensons d'abord au bien-être et à l'efficacité de l'utilisateur final, pas aux intermédiaires. Notre objectif est que nos clients gagnent du temps, et aussi, pourquoi pas, de l'argent." Il est persuadé que l'attente est forte : "Les entreprises exigent que leurs cadres soient très autonomes, tout en leur imposant des tâches de plus en plus lourdes. Entre 1995 et 2005, les technologies de l'information ont permis d'énormes gains de productivité. Mais depuis 2007, c'est beaucoup moins vrai. Seule une nouvelle rupture technologique d'envergure pourra faire repartir la course à la productivité. Sophie arrive au bon moment."
Yves Eudes, "Les prodiges de Sophie", Le Monde (14 mars 2012).
Document 4
Plantu, Wolfgang, tu feras informatique ! (1998).