Risque et progrès: La génétique

 

                      Epreuve de culture générale et expression

 

 

                         

  1. Synthèse:

 

    Vous ferez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents ci-joints consacrés à la problématique des risques et des progrès dans le cadre de la génétique.

                                                                         

Document 1 : Étienne KLEIN, La science nous menace-t-elle ? éd. Le Pommier (2003)

 

Document 2 : Gilbert Charles, la tentation de l’eugénisme, L’express, 14/09/2006

 

Document 3 : Axel KAHN, Le vivant ne doit pas être à vendre,  Propos recueillis par Alix

                       Leduc, Valeurs Actuelles, 8 septembre 2006

 

Document 4 : Bernard DEBRE, « Non à la frilosité », propos recueillis par Alix Leduc

                             Valeurs Actuelles, 8 septembre 2006

                     

 

  1. Ecriture personnelle: au choix

 

Sujet 1:    Vous répondrez d’une façon argumentée à la question suivante en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos lectures personnelles:

Pensez-vous que l’on puisse fixer des limites au progrès ?

 

Sujet 2:    Vous répondrez d’une façon argumentée à la question suivante en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos lectures personnelles:

Etes-vous confiant ou angoissé devant les progrès de la science ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Document 1 : Science et progrès

 

    Notre société semble saisie par une nouvelle passion : la peur comme figure jusqu’alors inédite du lien social. C’est sans doute la question du nucléaire qui a ouvert le processus, du seul fait qu’elle entremêlait de façon inextricable l’idée d’une révolution scientifique majeure, celle d’une ressource énergétique considérable et aussi celle d’une formidable puissance de mort. Depuis, les controverses se sont intensifiées, diverses dans leur nature, différentes dans leurs enjeux, à l’occasion des OGM, de la crise de la vache folle, des débats sur le clonage, des révélations sur les changements climatiques : tout se passe désormais comme si les avancées accomplies dans l’étendue des savoirs ou la puissance des techniques devaient se payer, à chaque fois, de risques accrus, d’ordre sanitaire, environnemental ou encore symbolique, qui alimentent à leur tour l’inquiétude et la défiance.

   Pour se convaincre de la nouveauté et de l’ampleur du phénomène, il suffit de mesurer la

distance – en vérité astronomique – qui nous sépare des premiers temps démocratiques. Face au tremblement de terre qui dévasta Lisbonne en 1755 et fit plusieurs milliers de morts, la réaction des meilleurs esprits de l’époque fut unanime et confiante : grâce aux futurs progrès des sciences et des techniques, une telle catastrophe pourrait, à l’avenir, être évitée. La géologie, les mathématiques et la physique permettraient de prévoir et même de prévenir les malheurs que la nature inflige si cruellement aux hommes. Bref, la science, plus exactement les sciences et leur périphérie allaient nous sauver des tyrannies de la matière brute. Le postulat était le suivant : l’accumulation des connaissances scientifiques ne peut qu’augmenter le nombre des réalisations techniques et industrielles, lesquelles ne peuvent que déboucher sur une amélioration générale de la condition humaine, voire sur le bonheur en personne. Cette doctrine a fini par devenir un véritable catéchisme, dont les premiers théoriciens ont été Descartes, Bacon, Condorcet – Comte, Spencer ou Renan prenant le relais. Au cours du XIXe siècle, les résultats de la science devenant rapidement très spectaculaires, l’idée germa que les pouvoirs croisés de la science, de l’instruction et du commerce conduiraient à l’âge d’or du genre humain, dont Saint-Simon, curieusement déguisé en Madame Soleil, prédisait (en 1814) l’arrivée à échéance de quelques générations. Ainsi l’idée de progrès en vint-elle à supplanter l’idée de salut, et à faire de l’avenir le refuge de l’espoir.

   Aujourd’hui, changement de décor. D’abord, le futur inquiète : nous sommes assaillis par la crainte de ce qu’il adviendra après nous. Mieux, par un remords anticipateur à l’égard de ce qui pourrait se produire. On rétorquera que l’avenir a toujours fait peur, mais il y a une différence essentielle : l’avenir nous inquiétait hier parce que nous étions impuissants, il nous effraie aujourd’hui par les conséquences de nos actes, que nous n’avons pas les moyens de discerner. Lucides, nous sentons que notre maîtrise des choses est à la fois démesurée et incomplète : suffisante pour que nous ayons conscience de faire l’histoire, insuffisante pour que nous sachions quelle histoire nous sommes effectivement en train de faire.

Ensuite, alors même que la société moderne a accédé à un niveau de sécurité qui n’a pas son pareil dans l’histoire, elle se reconnaît volontiers comme « la société du risque ». Tout y est pensé sous l’angle de la menace. Selon certains commentateurs, nous serions même entrés de plain-pied dans ce qu’ils appellent « le temps des catastrophes ». Pareil « air du temps » n’est pas sans effet sur nos réactions : à chaque fois qu’une innovation scientifique ou technique s’annonce, nous nous empressons de dresser la liste des dangers potentiels que cette innovation pourrait induire, quand bien même ces risques seraient très faibles. Serions-nous devenus hyperangoissés ? Nous exigeons en tout cas le service parfait, le « zéro défaut », la technologie silencieuse, propre, sobre, économe, sans aucun effet négatif. Or l’ingénieur sait qu’il ne peut fournir tout cela à la fois. D’ailleurs, personne ne le peut.

      Enfin, c’est à tout prendre la nature qui nous semble désormais bienveillante. Aux antipodes de l’optimisme des Lumières, nous ne décrivons plus systématiquement les avancées de la science comme un progrès, mais comme une chute hors de quelque paradis perdu.Ou, pour mieux dire, nous nous inquiétons de savoir si nous avons été rendus plus libres et plus heureux par la multiplication des performances techniques. En marge (ou à cause) de ce retournement dialectique, le thème de l’apprenti sorcier reprend du service en élargissant son spectre : il n’est plus seulement associé au savant atomiste (il l’est peut-être d’ailleurs de moins en moins), mais aussi au biologiste, désormais apte à manipuler la vie elle-même.

 

                                Étienne KLEIN, La science nous menace-t-elle ? éd. Le Pommier (2003)

 

 

 

 

 

 

 

Document 2 : Gilbert Charles, la tentation de l’eugénisme

 

Dans le cadre d'une fécon­dation in vitro, en Grande­-Bretagne, les couples peu­vent s'assurer que leur enfant n'aura pas de pré­dispositions au cancer. Une pratique critiquée

 

   C'est la porte ou­verte à l’'eugé­nisme ! » protes­tent les militants anti-avortement au Royaume-Uni, soutenus, une fois n'est pas coutume, par certains médecins dubi­tatifs. La décision des auto­rités médicales britanniques d'autoriser les établisse­ments de soins à dépister les embryons porteurs de gènes de susceptibilité au cancer a déclenché outre-Manche une polémique bioéthique aussi complexe que délicate. Depuis le 15 mai, les couples issus de familles touchées par certaines formes de tu­meurs héréditaires peuvent s'assurer que leur futur bébé ne sera pas touché par la maladie, grâce à la technique dite du diagnostic préim­plantatoire (DPI) (1). Pratiquée dans le cadre d'une fé­condation in vitro, celle-ci consiste à analyser l’ADN des embryons, afin de sélec­tionner ceux qui ne sont pas porteurs du gène défaillant avant de les implanter chez la mère.

 

   C'est la première fois que le procédé, autorisé de­puis 1990 en Grande-Bre­tagne et utilisé jusque-là pour des pathologies graves comme la trisomie, la mu­coviscidose ou la myopathie, est appliqué à des gènes de prédisposition. « Les règles n’ont cessé d'être assouplies depuis dix ans, constate Josephine Quintavalle, res­ponsable de 1'association londonienne de bioéthique Comment on Reproductive Ethics (Core). On s'attaque cette fois à des maladies qui ne se déclarent pas avant 1'âge adulte et qui pour­raient très bien être soignées lorsque ces bébés auront grandi. Jusqu'où ira-t-on ? Va-t-on dépister 1'obésité ou l'intelligence ? ». L’autorisa­tion donnée par la Human Fertilization and Embryo­logy Authority se limite à trois gènes précis : BRCA l, qui accroît de 80 % le risque de développer un cancer du sein ; BRCA 2, associé aucancer des ovaires (40 %) ; et HNPCC, dont les porteurs ont 78 % de risques d'être at­teints de tumeur intestinale.

   En France, le diagnostic préimplantatoire a été lé­galisé par la loi de bio­éthique de 1994, pour des couples ayant « une forte probabilité de donner nais­sance à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité re­connue comme incurable au moment du diagnostic ». En 2004, son utilisation a été élargie à des maladies susceptibles de se déclarer tardivement, comme la cho­rée de Huntington, ainsi qu'au “typage de tissus” destiné à mettre au monde un « bébé-médicament » : il s'agit dans ce cas de sé­lectionner un embryon au patrimoine génétique com­patible avec celui d'un grand frère ou d'une grande sceur atteint d'une maladie grave et qui ne peut être soigné que par une greffe de cel­lules souches. Depuis 2000, environ 200 enfants issus de DPI sont nés dans 1'Hexa­gone. « La loi française n'ex­clut pas le recours au DPI pour des gènes de prédis­position au cancer, mais le cas ne s'est encore jamais présenté, explique René Frydman, chef du service de gynécologie-obstétrique de 1'hôpital Antoine-Béclère, à Clamart. Les couples concernés vivent souvent des drames terribles: quand on a déjà perdu un enfant de 12 ou 13 ans, après des années de maladie, on ne peut pas parler du DPI comme d'une médecine de confort. »

   Pourtant, la question des limites de cette technique peut se poser. En Grande­Bretagne, les hôpitaux pro­posent, par exemple, aux couples ayant déjà un en­fant autiste d'éliminer les embryons mâles, afin de ne mettre au monde que des filles, car cette maladie af­fecte en grande majorité les garçons. L’ Eglise catholique, tout comme le biologiste Jacques Testard, n'a pas manqué de mettre en garde contre le risque de dérive de cette technique vers un « mythe de 1'enfant parfait ». Mais même les défenseurs les plus acharnés de la vie sont bien obligés de recon­naître son principal avan­tage : contrairement aux diagnostics prénataux clas­siques, le DPI évite le re­cours à 1'avortement.

                                            Gilbert Charles, la tentation de l’eugénisme, L’express, 14/09/2006

 

 

(1) DPI : le diagnostic préimplantatoire consiste à analyser l’ADN des embryons.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Document 3: Axel KAHN, Le vivant ne doit pas être à vendre (entretien)

 

Médecin et généticien de renom, ancien membre du Comité consultatif national d'éthique, Axel Kahn est I'auteur de nombreux ou­vrages de vulgarisation.

 

- Ne peut-on craindre que le diagnostic préimplantatoire puisse être utilisé pour d'autres critères?

 

Je suis favorable au Diagnostic préimplantatoire (DPI) pour la re­cherche d'anomalies génétiques. On ne peut pas retirer le droit de ce for­midable outil que représente le tri d'embryons pour des familles... Mais pas pour des cri­tères non patholo­giques comme le choix du sexe. De quel droit priver 1'enfant d'une au­tonomie biologique à préserver? Est-il raisonnable de don­ner un tel pouvoir aux parents? Et pourquoi ne pas chercher demain des critères propres à la forme du visage, l’enveloppe cor­porelle ou certains traits de carac­tère? Un enfant n'est jamais tel que les parents 1'ont exactement voulu. C'est ce même refus d'unicité biolo­gique conférée par la reproduction et la loterie génétique qu'elle induit qui soutiennent le recours au clonage re­productif. De quel droit pourrait-on décider de 1'intimité biologique de 1'enfant à naître? C'est selon moi, une forme de viol, d'une offense aux droits de 1'homme. A ce titre, il est essentiel de mettre un frein à 1'exten­sion du pouvoir des parents sur 1'iden­tité de 1'enfant à venir.

 

- Cette condamnation du clonage re­productif ne risque-t-elle pas de bloquer le clonage thérapeutique et les formi­dables perspectives qu'il suscite?

 

Le problème du clonage théra­peutique est différent. Au lieu de prendre les cellules souches à partir d'embryon surnuméraire sans projet parental, cette technique propose de créer un embryon qui sera le clone de la personne malade. Ces cellules souches ont la possibilité de se diffé­rencier en cellules de n'importe quel organe ou tissu. Si on parvenait à maî­triser leur différenciation, on pourrait avoir une piste de traitement pour des maladies jusqu'à maintenant incu­rables (Alzheimer, diabète, Parkin­son...). Mais pour 1'instant, on ne sait pas guider cette différenciation et cette technique très compliquée pour ob­tenir un embryon cloné qui n'a, à ce jour, aucune application thérapeutique. Outre la porte ou­verte au clonage reproductif, le clo­nage thérapeutique pourrait finalement se révéler être une fausse bonne idée. Dire que cette tech­nique guérira de­main toutes les ma­ladies incurables est un mensonge.Dans 1'immédiat, l'intérêt scientifique se limi­te à une meilleure compréhension des phénomènes de différenciation.

 

- Doit-on s'inquiéter d'une certaine marchandisation du vivant?

 

C'est un réel danger. Par exemple, les tests génétiques constituent un for­midable outil lorsqu'ils permettent de guérir une maladie, mais 1'intérêt qu'ils suscitent auprès des assureurs et des banquiers peut constituer un réel sujet de préoccupation. Cette marchandisation du vivant et ses dé­rives n'épargnent pas le monde scien­tifique. Le récent scandale du cher­cheur coréen Hwang Woo-suk a permis de révéler que les embryons provenaient d'employées féminines du chercheur. Cet exemple et la mul­tiplication des entreprises vendant des gamètes ou offrant les services de mères porteuses sont préoccupants : il faut protéger les femmes qui ris­quent d'étre instrumentalisées. Plus généralement, le plus grand danger est de voir notre société fondée sur les droits de 1'homme glisser vers une société fondée sur le droit des gènes.

 

                                     Propos d’Axel Kahn, recueillis par Alix Leduc, Valeurs Actuelles, 8 septembre 2006

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Document 4 : « Non à la frilosité », Entretien avec Bernard Debré, propos recueillis par Alix Leduc

 

Bernard Debré est chef du service d’urologie à l’hôpital Cochin.

 

 

- Qu'entendez-vous par "eugénisme de liberté"?

 

   Dans l'imaginaire collectif, "eugé­nisme" est un mot épouvantable qui évoque les atrocités commises par les nazis ou bien celles réalisées par la social-démocratie suédoise qui, dans les années 1970, a stérilisé des femmes qui présentaient des troubles men­taux, avaient trop d'enfants ou étaient considérées comme asociales. Aux antipodes de ces eugénismes d'État, il existe un eugé­nisme de liberté, que je défends. Á ce titre, le diagnostic préimplantatoire, qui permet-de sé­lectionner les embryons non por­teurs d'une maladie génétique. La liste des maladies pour lesquelles on pourra y recourir ne va ces­ser de s'allonger, car on sait maintenant lire dans le livre de la vie. Récemment, à 1'hópital, un jeune couple a demandé un tri d'em­bryons parce que chacun avait un pa­rent atteint d'un Alzheimer précoce. Ils souhaitaient que leur enfant à ve­nir soit préservé de cette maladie.Quoi de plus légitime? Au nom de quoi leur interdire eette possibilité?

 

-Vous défendez également le clonage thérapeutique, pourtant toujours interdit en France...

 

Le clonage reproductif doit évi­demment être interdit, c'est une injure faite à 1'homme. C'est un mensonge de dire que le clonage humain n'aura pas lieu.On clone déjà les animaux do­mestiques aux USA. Mais pour quoi faire? Obtenir la vie éternelle par le clonage est un pur fantasme. C'est oublier que le vécu, le contexte histo­rique et émotionnel fondent la per­sonnalité autant que le patrimoine génétique. Quant à 1'idée de fabri­quer une armée de clones, comme1'avait décrit Aldous Iiuxley dans le Meilleur des mondes, c'est encore plus absurde. L’Histoire montre qu'il est bien plus facile de se constituer des troupes dociles en lavant le cerveau des jeunes gens. Fabriquer un clone n'a aucun intérét, ni scientifique ni mo­ral. Ca ne sert à rien.

   En revanche, le clonage théra­peutique est 1'une des plus grandes inventions du XXe siècle ! Cette tech­nique permettra un jour à chacun de réparer ses organes défaillants. Quel principe supérieur nous permettrait d'interdire 1'autoréparation, qui pou r­rait sauver un nombre considérable de malades? Il y a quelques décen­nies, il se trouvait des censeurs pour s'y opposer.D'ailleurs,on effecttue déjà des réparations qui sauvent des vies. Cela s'appelle la greffe d'organes. L’avantage énorme, avec le clonage thé­rapeutique, c'est que 1'on ne sera plus confronté au risque de rejet: Non à 1a frilosité !

 

- Justement, vous pointez du doigt la frilosité de la France, sur la question de la recherche sur les embryons...

 

   Les barrières législatives érigées contre la recherche en France lui ont déjà fait perdre au moins six précieuses an­nées. La loi bioéthique autorise 1'étude sur les embryons congelés surnumé­raires, mais seulement à titre explo­ratoire, pour une durée de cinq ans et dans un contexte expérimental enca­dré.C'est totalement insuffisant! Nos chercheurs sont obligés de s'exiler. Et la Chine est en passe de devenir la référence mondiale en matière de clo­nage.L’embryon, qui n'est rien d'autre qu'un tas de cellules, ne doit pas être déifié. Pourquoi ne pourrait-on pas utiliser des embryons destinés à être détruits? Ce sont pourtant des mil­liers de vies humaines qui pourraient être sauvées dans un délai trés bref.

   Le clonage reproductif est contre 1'homme.Le clonage thérapeutique et 1'eugénisme de liberté sont faits pour 1'homme. 

 

                         Propos de Bernard Debré, recueillis par Alix Leduc, Valeurs Actuelles, 8 septembre 2006

 

 

 

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