L'autre, entre rencontre et utopie
Problématique: Comment la découverte et la rencontre de l'altérité pousse les écrivains de la Renaissance aux Lumières à s'interroger sur eux-mêmes et les fondements de leurs sociétés en se questionnant sur leurs évidences voire en les remettant en cause?
Nous travaillerons entre autres sur des textes de Montaigne, Cyrano de Bergerac, Diderot et Voltaire.
L'humanisme
L'utopie
Montaigne
Cyrano
Lecture analytique
Introduction
Replacer Cyrano de Bergerac dans le contexte de son époque (baroque. libertinage)
Pbtiq:
Comment l'autre est ici mis en scène.
Pour répondre à cette question nous verrons comment Cyrano utilise les lieux communs du récit de voyage, Mais cette utilisation passe par le renversement des points de vue qui lui permet par l'intermédiaire de l'Autre de mettre en place un discours critique sur la société de son temps.
I. Un récit de voyage Ce passage témoigne de l’imitation effectuée par Cyrano de Bergerac :
tous les topoï (lieux communs) de la relation de voyage y sont en effet repris.
a) La figure du narrateur
Comme dans une relation de voyage, le narrateur se distingue par deux caractéristiques majeures :
– son héroïsme : il arrive dans l’inconnu, seul : « Je restai bien surpris de me voir tout seul au milieu d’un pays que je ne connaissais point ». Il s’en remet alors au Destin (comme Ulysse malmené par les dieux dans l’Odyssée, modèle premier) : « je résolus de marcher, jusques à ce que la Fortune me fît rencontrer la compagnie de quelque bête ou de la mort ». Cet héroïsme permet la dramatisation du voyage, qui éveille ainsi l’intérêt du lecteur ;
– son apparente neutralité : le narrateur s’exprime à la première per sonne et rapporte les faits avec une apparente neutralité, juxtaposition des phrases aux trois premières lignes.
En effet, il est en terrain inconnu et a donc un regard distancié sur ce qui l’entoure. Cette position permet d’apporter au récit l’authenticité d’un témoignage, et, dans le cadre de l’utopie, de garantir la crédibilité d’un récit pourtant très fantaisiste.
b) L’image que donne le narrateur de ce nouveau monde : le caractère merveilleux
La fantaisie s’exprime dans les détails apportés par l’auteur lorsqu’il décrit ce nouveau monde : sur la lune se trouvent les monstres ; sur la lune, ce sont des « bêtes-hommes » qui « avaient la taille, la figure et le visage comme nous » mais qui marchent à quatre pattes.
C’est le deuxième topos de la relation de voyage, emprunté notamment à l’historien grec, Hérodote, celui de l'inversion de la "normalité"
Le narrateur souligne que ces êtres lui rappellent les monstres de la mythologie : « Cette aventure me fit souvenir de ce que jadis j’avais ouï conter à ma nourrice, des sirènes, des faunes et des satyres ».
c) Un monde qui suscite l’étonnement
De plus, le récit de voyage doit susciter la surprise, la stupéfaction. Le caractère merveilleux des Sélénites est mis en relief par le champ lexical de l’étonnement : « je restai bien surpris », « je fus bien étonné », renforcé par l’hyperbole : « plus de sept ou huit cents... ».
Cet étonnement provient de la position du voyageur qui découvre un monde totalement inconnu : le champ lexical du regard met en évidence cette découverte ; et, comme dans toute relation de voyage, la description va de l’aspect physique au comportement.
Le thème majeur, ici, est la diversité des mœurs, centrée sur la façon de marcher – à deux ou quatre pattes.
L’inconnu suscite l’interprétation : ce thème est développé par un champ lexical de la pensée et de l'interprétation, et par des modalisateurs exprimant le doute.
II. Le renversement des perspectives
a) Des jeux de symétrie
Le passage se fonde sur un jeu de symétrie entre les regards et les sentiments. En effet, si le narrateur-héros porte un regard sur ce monde nouveau : « je le vis revenir », « je vis entrer « Quand je les pus discerner », il est aussi « contempl[é] » : « ce peuple me vit passer, me voyant si petit » ; la répétition du verbe voir , à la forme active ou passive, est significative.
De même, il est surpris par ce qu’il voit : « Je fus bien étonné », tout comme il est aussi un objet d’étonnement pour les Sélénites, qu’il s’agisse du peuple ou des Grands : « ils élevaient des huées si furieuses, causées sans doute par l’admiration de me voir », « Les grands me reçurent avec des admirations plus modérées ».
Enfin, le renversement touche aussi à l’interprétation : le narrateur pense que les Sélénites sont des animaux, mais il est lui-même pris pour un animal.
La différence des regards met en cause les repères du narrateur et les certitudes des lecteurs. Un relativisme à rapprocher du texte de Montaigne.
b) Le jeu des discours
Cette perturbation se révèle aussi par le jeu des discours : nombreux locuteurs, différents propos rapportés. Le narrateur assume évidemment le récit, et tient le discours principal ; mais il fait aussi intervenir de nombreux locuteurs :
– le peuple : « ils disaient donc » ;
– les grands, c’est-à-dire les nobles proches du Roi : « Les grands me reçurent [ ... ]. Leur conclusion néanmoins fut semblable... » ;
– l’Espagnol, dont la parole est rapportée au discours direct lors d’un court dialogue entre lui et le narrateur ;
– les « prêtres du pays qui s’y opposèrent, disant que c’était une im- piété épouvantable... ».
La multiplicité des discours rapportés contribue à soutenir l’action,et, à rendre le récit plus vivant, ce qui permet de maintenir l’intérêt du lecteur pour les événements. Mais aussi une idée propre à l’époque baroque : le monde est un théâtre – et Cyrano est aussi un dramaturge.
c) Un débat sur une question centrale
La multiplicité des discours met en scène un débat, centré sur une question fondamentale : celle de l’homme. Le narrateur et les Sélénites se regardent mutuellement en essayant de déterminer s’ils peuvent considérer l’Autre comme un homme, malgré les différences ; ainsi, le narrateur explique : « je rencontrai deux fort grands animaux [...]. Je fus bien étonné, lorsque je reconnus en effet que c’étaient des hommes ».
Les Sélénites, quant à eux, commencent par penser que le narrateur est un singe ; lorsque le narrateur apprend leur langue, ils le prennent, ainsi que son compagnon, pour un homme sauvage dont la bonne croissance physique a été empêchée : « deux hommes sauvages, plus petits que les autres, à cause des mauvaises nourritures que la solitude nous avait fournies, et qui, par un défaut de la semence de leurs pères, n’avaient pas les jambes de devant assez fortes pour s’appuyer dessus ».
Cyrano montre ici qu’il a lu Marco Polo, en reprenant le motif des singes. Le thème est fondamental : Cyrano fait ici référence, notamment, à la Controverse de Valladolid qui, en 1527, fut organisée par l’Église pour décider si les Indiens étaient des hommes.
III. Un passage satirique
Sous la fantaisie se dissimule donc un thème philosophique.
a) La lune : un miroir inversé du monde
Le renversement des perspectives aboutit à la critique de l’ethnocentrisme : le narrateur affirme dès l’incipit de l’œuvre : « La Lune est un monde comme celui-ci, à qui le nôtre sert de lune ».
Il n’y a donc pas de vérité fondamentale ; nous retrouvons ici la notion de relativisme défendue par Montaigne à la fin du XVIe siècle.
Cyrano critique dans d’autres œuvres « l’orgueil insupportable des humains, qui leur persuade que la Nature n’a été faite que pour eux ». Le passage est donc une illustration de ce relativisme. Ainsi, les Sélénites peuvent d’abord apparaître comme des monstres, mais dans leur regard, le narrateur craint d’« être devenu monstre » lui-même.
b) L’exercice de la satire
La représentation de ce monde autre présente des similitudes frappantes avec le monde contemporain de l’écriture : l’État des Sélénites est une projection du monde réel.
La structure du texte met ainsi en évidence l’organisation de la société : le peuple, les grands, le roi, les prêtres.
À tous ces échelons de la société, une critique est adressée : le peuple a des représentations étroites : « ils ne purent croire que je fusse un homme » ; les grands sont plus réservés dans l’étonnement mais n’ont pas l’esprit plus ouvert que le peuple, dont ils partagent les préjugés ; le roi se trompe également et paraît d’ailleurs essentiellement indifférent ; et les prêtres brident l’esprit critique en guidant les consciences.
La satire est particulièrement vive à l’égard de l’Église : « ils bridèrent si bien la conscience des peuples », accusée de maintenir le peuple dans l’ignorance et l’obscurantisme. On se souviendra à ce sujet que Cyrano de Bergerac n’a jamais fait mystère de son athéisme et qu’il s’inscrivait dans le mouvement de pensée libertin qui prend alors son essor.
Par ailleurs, l’auteur entend dénoncer le préjugé qui consiste à s’en tenir aux apparences.
c) La connivence avec le lecteur
Cette critique particulièrement audacieuse est soutenue par la connivence, c’est-à-dire la complicité avec le lecteur, établie par différents moyens : les allusions et références (cf. Homère, Hérodote, Marco Polo...) permettent d’établir cette complicité et montrent que Cyrano s’adresse à un public cultivé, capable de saisir la dimension implicite de son discours.
Le lecteur, séduit aussi
- par l’humour, établi le plus souvent sur l’autodérision, comme lorsque le narrateur est comparé à « un perroquet plumé ».
- par l’ironie : la mise en scène de l’Espagnol est sévère, présentée avec sérieux mais en décalage avec ce qui en est décrit et dit, particulièrement lorsque celui-ci déclare appartenir à une nation « en faveur de qui l’Univers ne produit des hommes que pour nous donner des esclaves ».
Cyrano utilise ainsi tous les procédés qui nourriront l’apologue au temps des Lumières.
Conclusion
La fantaisie de l’utopie sert à voiler une critique virulente à l’égard de l’État et de l’Église ; et les masques utilisés par Cyrano pour voiler cette critique, tels que l’humour et la mise à distance, ne dissimulent pas totalement l’audace de l’auteur. Aussi l’œuvre ne sera-t-elle publiée que de manière posthume, et dans une version édulcorée, par Le Bret, ami de Cyrano. La relation de voyage est ainsi imitée pour favoriser la séduction exercée sur le lecteur ; et elle est surtout, par sa dimension imaginaire, le prétexte à un regard sur le monde réel.
Introduction
Replacer Cyrano de Bergerac dans le contexte de son époque (baroque. libertinage)
Pbtiq:
Comment l'autre est ici mis en scène.
Pour répondre à cette question nous verrons comment Cyrano utilise les lieux communs du récit de voyage, Mais cette utilisation passe par le renversement des points de vue qui lui permet par l'intermédiaire de l'Autre de mettre en place un discours critique sur la société de son temps.
I. Un récit de voyage Ce passage témoigne de l’imitation effectuée par Cyrano de Bergerac :
tous les topoï (lieux communs) de la relation de voyage y sont en effet repris.
a) La figure du narrateur
Comme dans une relation de voyage, le narrateur se distingue par deux caractéristiques majeures :
– son héroïsme : il arrive dans l’inconnu, seul : « Je restai bien surpris de me voir tout seul au milieu d’un pays que je ne connaissais point ». Il s’en remet alors au Destin (comme Ulysse malmené par les dieux dans l’Odyssée, modèle premier) : « je résolus de marcher, jusques à ce que la Fortune me fît rencontrer la compagnie de quelque bête ou de la mort ». Cet héroïsme permet la dramatisation du voyage, qui éveille ainsi l’intérêt du lecteur ;
– son apparente neutralité : le narrateur s’exprime à la première per sonne et rapporte les faits avec une apparente neutralité, juxtaposition des phrases aux trois premières lignes.
En effet, il est en terrain inconnu et a donc un regard distancié sur ce qui l’entoure. Cette position permet d’apporter au récit l’authenticité d’un témoignage, et, dans le cadre de l’utopie, de garantir la crédibilité d’un récit pourtant très fantaisiste.
b) L’image que donne le narrateur de ce nouveau monde : le caractère merveilleux
La fantaisie s’exprime dans les détails apportés par l’auteur lorsqu’il décrit ce nouveau monde : sur la lune se trouvent les monstres ; sur la lune, ce sont des « bêtes-hommes » qui « avaient la taille, la figure et le visage comme nous » mais qui marchent à quatre pattes.
C’est le deuxième topos de la relation de voyage, emprunté notamment à l’historien grec, Hérodote, celui de l'inversion de la "normalité"
Le narrateur souligne que ces êtres lui rappellent les monstres de la mythologie : « Cette aventure me fit souvenir de ce que jadis j’avais ouï conter à ma nourrice, des sirènes, des faunes et des satyres ».
c) Un monde qui suscite l’étonnement
De plus, le récit de voyage doit susciter la surprise, la stupéfaction. Le caractère merveilleux des Sélénites est mis en relief par le champ lexical de l’étonnement : « je restai bien surpris », « je fus bien étonné », renforcé par l’hyperbole : « plus de sept ou huit cents... ».
Cet étonnement provient de la position du voyageur qui découvre un monde totalement inconnu : le champ lexical du regard met en évidence cette découverte ; et, comme dans toute relation de voyage, la description va de l’aspect physique au comportement.
Le thème majeur, ici, est la diversité des mœurs, centrée sur la façon de marcher – à deux ou quatre pattes.
L’inconnu suscite l’interprétation : ce thème est développé par un champ lexical de la pensée et de l'interprétation, et par des modalisateurs exprimant le doute.
II. Le renversement des perspectives
a) Des jeux de symétrie
Le passage se fonde sur un jeu de symétrie entre les regards et les sentiments. En effet, si le narrateur-héros porte un regard sur ce monde nouveau : « je le vis revenir », « je vis entrer « Quand je les pus discerner », il est aussi « contempl[é] » : « ce peuple me vit passer, me voyant si petit » ; la répétition du verbe voir , à la forme active ou passive, est significative.
De même, il est surpris par ce qu’il voit : « Je fus bien étonné », tout comme il est aussi un objet d’étonnement pour les Sélénites, qu’il s’agisse du peuple ou des Grands : « ils élevaient des huées si furieuses, causées sans doute par l’admiration de me voir », « Les grands me reçurent avec des admirations plus modérées ».
Enfin, le renversement touche aussi à l’interprétation : le narrateur pense que les Sélénites sont des animaux, mais il est lui-même pris pour un animal.
La différence des regards met en cause les repères du narrateur et les certitudes des lecteurs. Un relativisme à rapprocher du texte de Montaigne.
b) Le jeu des discours
Cette perturbation se révèle aussi par le jeu des discours : nombreux locuteurs, différents propos rapportés. Le narrateur assume évidemment le récit, et tient le discours principal ; mais il fait aussi intervenir de nombreux locuteurs :
– le peuple : « ils disaient donc » ;
– les grands, c’est-à-dire les nobles proches du Roi : « Les grands me reçurent [ ... ]. Leur conclusion néanmoins fut semblable... » ;
– l’Espagnol, dont la parole est rapportée au discours direct lors d’un court dialogue entre lui et le narrateur ;
– les « prêtres du pays qui s’y opposèrent, disant que c’était une im- piété épouvantable... ».
La multiplicité des discours rapportés contribue à soutenir l’action,et, à rendre le récit plus vivant, ce qui permet de maintenir l’intérêt du lecteur pour les événements. Mais aussi une idée propre à l’époque baroque : le monde est un théâtre – et Cyrano est aussi un dramaturge.
c) Un débat sur une question centrale
La multiplicité des discours met en scène un débat, centré sur une question fondamentale : celle de l’homme. Le narrateur et les Sélénites se regardent mutuellement en essayant de déterminer s’ils peuvent considérer l’Autre comme un homme, malgré les différences ; ainsi, le narrateur explique : « je rencontrai deux fort grands animaux [...]. Je fus bien étonné, lorsque je reconnus en effet que c’étaient des hommes ».
Les Sélénites, quant à eux, commencent par penser que le narrateur est un singe ; lorsque le narrateur apprend leur langue, ils le prennent, ainsi que son compagnon, pour un homme sauvage dont la bonne croissance physique a été empêchée : « deux hommes sauvages, plus petits que les autres, à cause des mauvaises nourritures que la solitude nous avait fournies, et qui, par un défaut de la semence de leurs pères, n’avaient pas les jambes de devant assez fortes pour s’appuyer dessus ».
Cyrano montre ici qu’il a lu Marco Polo, en reprenant le motif des singes. Le thème est fondamental : Cyrano fait ici référence, notamment, à la Controverse de Valladolid qui, en 1527, fut organisée par l’Église pour décider si les Indiens étaient des hommes.
III. Un passage satirique
Sous la fantaisie se dissimule donc un thème philosophique.
a) La lune : un miroir inversé du monde
Le renversement des perspectives aboutit à la critique de l’ethnocentrisme : le narrateur affirme dès l’incipit de l’œuvre : « La Lune est un monde comme celui-ci, à qui le nôtre sert de lune ».
Il n’y a donc pas de vérité fondamentale ; nous retrouvons ici la notion de relativisme défendue par Montaigne à la fin du XVIe siècle.
Cyrano critique dans d’autres œuvres « l’orgueil insupportable des humains, qui leur persuade que la Nature n’a été faite que pour eux ». Le passage est donc une illustration de ce relativisme. Ainsi, les Sélénites peuvent d’abord apparaître comme des monstres, mais dans leur regard, le narrateur craint d’« être devenu monstre » lui-même.
b) L’exercice de la satire
La représentation de ce monde autre présente des similitudes frappantes avec le monde contemporain de l’écriture : l’État des Sélénites est une projection du monde réel.
La structure du texte met ainsi en évidence l’organisation de la société : le peuple, les grands, le roi, les prêtres.
À tous ces échelons de la société, une critique est adressée : le peuple a des représentations étroites : « ils ne purent croire que je fusse un homme » ; les grands sont plus réservés dans l’étonnement mais n’ont pas l’esprit plus ouvert que le peuple, dont ils partagent les préjugés ; le roi se trompe également et paraît d’ailleurs essentiellement indifférent ; et les prêtres brident l’esprit critique en guidant les consciences.
La satire est particulièrement vive à l’égard de l’Église : « ils bridèrent si bien la conscience des peuples », accusée de maintenir le peuple dans l’ignorance et l’obscurantisme. On se souviendra à ce sujet que Cyrano de Bergerac n’a jamais fait mystère de son athéisme et qu’il s’inscrivait dans le mouvement de pensée libertin qui prend alors son essor.
Par ailleurs, l’auteur entend dénoncer le préjugé qui consiste à s’en tenir aux apparences.
c) La connivence avec le lecteur
Cette critique particulièrement audacieuse est soutenue par la connivence, c’est-à-dire la complicité avec le lecteur, établie par différents moyens : les allusions et références (cf. Homère, Hérodote, Marco Polo...) permettent d’établir cette complicité et montrent que Cyrano s’adresse à un public cultivé, capable de saisir la dimension implicite de son discours.
Le lecteur, séduit aussi
- par l’humour, établi le plus souvent sur l’autodérision, comme lorsque le narrateur est comparé à « un perroquet plumé ».
- par l’ironie : la mise en scène de l’Espagnol est sévère, présentée avec sérieux mais en décalage avec ce qui en est décrit et dit, particulièrement lorsque celui-ci déclare appartenir à une nation « en faveur de qui l’Univers ne produit des hommes que pour nous donner des esclaves ».
Cyrano utilise ainsi tous les procédés qui nourriront l’apologue au temps des Lumières.
Conclusion
La fantaisie de l’utopie sert à voiler une critique virulente à l’égard de l’État et de l’Église ; et les masques utilisés par Cyrano pour voiler cette critique, tels que l’humour et la mise à distance, ne dissimulent pas totalement l’audace de l’auteur. Aussi l’œuvre ne sera-t-elle publiée que de manière posthume, et dans une version édulcorée, par Le Bret, ami de Cyrano. La relation de voyage est ainsi imitée pour favoriser la séduction exercée sur le lecteur ; et elle est surtout, par sa dimension imaginaire, le prétexte à un regard sur le monde réel.